Candidats handicapés sur les listes, sensibilisation au vote dans les établissements, interpellation des politiques sur l’accessibilité… Le scrutin 2020 prend une petite couleur handicap mais « aucun parti n’est à la hauteur », selon Sophie Cluzel.

A quelques jours du premier tour des municipales, le gouvernement confirme qu’elles auront bien lieu les 15 et 22 mars. Si la panique coronavirus a quelque peu plombé la campagne, quelques voix se sont malgré tout fait entendre en faveur des personnes handicapées. Pas le rush espéré mais une prise de conscience qui commence à produire ses effets dans différents domaines. Tout d’abord l’implication des personnes en situation dans la campagne ; elles ont été « un peu plus » nombreuses à se présenter sur les listes et à briguer des mandats, tous azimuts.

Aucun parti n’est à la hauteur

C’est d’ailleurs le credo de l’Apajh (association tous handicaps) qui, via ses 93 associations, a interpellé les candidats. « Dans une mairie, ou un gouvernement, une personne en situation de handicap ne doit pas être cantonnée à la question du handicap ; elle peut être en charge des finances, du logement, de la transition écologique… et même être maire !, a expliqué Jean-Louis Garcia, son président. L’expertise d’une personne ne se résume pas à sa situation de handicap ! ». La secrétaire d’Etat Sophie Cluzel lance à son tour un appel aux partis politiques, y compris le sien, pour qu’ils s’ouvrent davantage aux 12 millions de Français en situation de handicap et soient en situation d’être éligibles. Avant la clôture des listes, elle avait déclaré : « Il est encore temps pour les partis de se mobiliser pour intégrer des candidats en situation de handicap. 1 français sur 5 est touché. La démocratie se construit dans la diversité, ne l’oublions pas, svp ! » Pourtant, « aucun parti politique n’est à la hauteur, aucun ne veut en faire une force pour l’instant, a ajouté la ministre. D’ailleurs, disons-le franchement : il y a très peu de personnes handicapées têtes de liste ».

Atout marketing ?

Pourtant, selon Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d’APF France handicap, son association reçoit « beaucoup de messages de nos adhérents qui veulent s’engager davantage dans la vie de la cité. Un mouvement est en train de naître. Mais ils ne veulent pas être cantonnés à des rôles de faire-valoir mais avoir un vrai pouvoir ». Démarche sincèrement inclusive ou simple atout marketing ? « Des personnes handicapées dans les listes, oui. Mais tant qu’à faire, un handicap visible, pour que cela se voit. Il manquerait plus qu’on prenne une personne handicapée mais que cela ne se voit pas »…, avait ironisé le Collectif handicaps, qui réunit 48 associations, dans un Tweet. Stratégie confirmée par un candidat, Éric, qui rapporte les propos d’un colistier : « Tu devrais mettre ton handicap en avant quand tu présentes ton projet social ! Le tien ne se voit pas alors qu’en face ils ont un type en fauteuil ! ».

Des candidats « atypiques »

La relève serait donc assurée ? Rien n’est moins sûr… Même si 80 % des handicaps sont invisibles, ce qui rend difficile un décompte précis, les postulants « indentifiables »  se comptent encore sur les doigts de quelques mains. Il y a bien des figures emblématiques comme Matthieu Annereau, aveugle, élu LREM à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), ou encore Yann Jondot, paraplégique, maire d’une bourgade du Morbihan. Un Parisien paraplégique fait également parler de lui, Pierre-Emmanuel Robert, engagé sur la liste Générations-s, à Paris, qui a pour objectif de « partager son parcours du combattant, se déplacer dans la ville ». A Rodez (Aveyron), c’est Jean-Philippe Murat, tétraplégique, qui affirme puiser toute sa détermination de son combat réussi contre le handicap. Ces profils « atypiques » ont été relayés par la presse, preuve que leur apparition « est singulière ». Comme eux, Moctar Jeledi a décidé de franchir le pas… Numéro 5 sur une liste dans le 15ème arrondissement de Paris, il dit s’être engagé en politique pour « changer la vision à l’égard des personnes handicapées » et affirmer le « droit d’exister et d’être présent en politique ». Selon lui, c’est « cette invisibilité qui engendre l’absence de réponses aux différentes problématiques du handicap et une offre incomplète ».

Il rejoint en cela le discours d’Emmanuel Macron qui appelé les Français à « bousculer » les candidats aux municipales de mars sur « leur capacité à apporter des réponses concrètes et tangibles » aux personnes handicapées dans les villes. Il faisait cette déclaration le 11 février 2020 à l’occasion de la Conférence nationale du handicap, ce qui a encouragé Moctar à « poursuivre dans cette voie ». Ce jeune homme en fauteuil roulant dit avoir été « bien accueilli » par le milieu politique et affirme que le candidat qu’il soutient a ainsi « apporté une importance particulière à l’accessibilité » lors de sa campagne. « Il y a 5 ans, je ne pouvais pas imaginer être parmi les premiers sur une liste », conclut-il. Heureux de sortir de l’ombre, il encourage chacun à « prendre sa place » et à « participer à la vie politico-sociale ».

300 000 votants de plus

Un autre point davantage abordé en 2020, c’est la participation des personnes handicapées au scrutin. Dans ce domaine, les initiatives sont florissantes, encouragées par la mesure du gouvernement, prise en mars 2019, qui accorde le droit de vote à toutes les personnes sous tutelle et curatelle, sans restriction. Plus de 300 000 nouveaux électeurs potentiels ! Pourtant, ce droit reste encore méconnu puisqu’un quart des répondants à une enquête menée par Nous aussi disaient ne pas en être informés. Pour certains membres de cette association qui regroupe des personnes avec un handicap intellectuel auto-représentées et avait d’ailleurs fait du droit de vote le thème de son grand congrès national en 2018, il ne s’agit pas d’une méconnaissance mais parfois d’un choix délibéré de l’entourage : « Je ne vote pas, mes parents et ma sœur ne veulent pas », « Tous les tuteurs n’informent pas les majeurs protégés », ont confié certains répondants. 4 sur 10 affirment d’ailleurs ne pas avoir de carte d’électeur. D’autres, enfin, disent avoir « peur », « de faire mal ou de ne pas savoir ».

Apprendre à voter

Afin de « redonner la parole à plus de 2 millions de Français en situation de fragilité mentale », le Cercle vulnérabilités et société, avec le soutien de plusieurs associations du champ du handicap, a donc mis gratuitement à disposition des structures médico-sociales un « Kit pour une (re)mise en mouvement » afin de renforcer la motivation des personnes ayant des difficultés d’ordre mental à exercer leur droit de vote. De son côté, l’Unapei, conçoit le premier « serious-game » dédié, à télécharger sur les stores Apple et Android. Son nom ? « Nos Droits Aussi ». Le pitch du jeu : « Accompagnez Maxime, travailleur handicapé en Esat et sous curatelle, dans la découverte de ses droits de citoyen-électeur : comment s’inscrire sur les listes électorales, comment faire une procuration, comment se faire accompagner dans l’isoloir… » L’association a également édité un guide « Le vote pour tous » en Facile à lire et à comprendre (FALC). Engagement concordant pour Trisomie 21 France qui conjugue ces élections avec la journée mondiale de la Trisomie 21, le 21 mars. Avec pour credo 2020, Le « droit de décider et le pouvoir d’agir », elle martèle le slogan : « We decide ». Décider et agir, c’est inciter les personnes avec trisomie à « prendre part aux décisions qui concernent l’ensemble de la société ». « Je suis fier de moi, ce sera la première fois et c’est impressionnant », explique  Gaultier Roussel,  47 ans. L’association promet d’accompagner les 50 000 Français concernés jusqu’aux urnes. Encore faut-il que le choix soit éclairé, c’est pourquoi des personnes déficientes intellectuelles de l’Eure ont travaillé avec les candidats de la ville pour traduire leur programme en FALC.

L’accessibilité des campagnes

C’est, enfin, l’accessibilité des campagnes et des élections qui est au cœur de la problématique. Un kit a ainsi été réalisé par Handéo pour sensibiliser élus et candidats sur ce thème. A l’occasion d’une journée dédiée, en janvier, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a, lui aussi, présenté ses recommandations pratiques pour que les candidats aux élections municipales puissent s’adresser à tous leurs électeurs. Sans qu’elle ne rencontre malheureusement le succès escompté !

Source : https://informations.handicap.fr/a-2020-handicap-invite-t-il-enfin-dans-elections-12699.php

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