Handicap : 1ère cause de discrimination en France

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Par Handicap.fr / Emmanuelle Dal’Secco, le .

Dans son rapport 2017 rendu public le 11 avril 2018, Jacques Toubon, Défenseur des droits, a pris la parole lors d’une conférence de presse. Morceau choisis et trois questions « handicap » à Patrick Gohet, son adjoint en charge des discriminations.

H.fr : En 2017, le handicap passe en première position dans la liste des 25 critères de discrimination…
Patrick Gohet : Le handicap est longtemps resté second, derrière l’origine. En 2017, il passe en effet en première position avec 21,8 % des motifs de saisines (19% en 2016) contre 17,8 % pour l’origine (21,3 % en 2016). Et, dans la majorité des saisines, tout critère de discrimination confondu, c’est l’emploi qui est le domaine principal dans lequel les discriminations interviennent (50% des dossiers).

H.fr : Cela veut-il dire que les personnes handicapées sont de plus en plus discriminées ou qu’elles font de plus en plus souvent la démarche d’accéder à leurs droits ?
PG : Les personnes handicapées sont incontestablement conscientes d’avoir des droits renforcés depuis la loi handicap de 2005, mais aussi grâce à la convention de l’Onu. Les associations ont également joué un rôle important d’information et de diffusion de ces droits. Le Défenseur des droits a un comité d’entente handicap au sein duquel siègent les principales associations de personnes handicapées, entretient des relations étroites avec le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) et fait des points réguliers avec sa présidente, Dominique Gillot. Donc le fait que le handicap soit devenu le premier critère de discrimination dit certainement que notre institution est de plus en plus reconnue comme voie de recours. On ne peut pas négliger non plus l’impact de medias spécialisés, comme le vôtre, qui permettent plus facilement d’accéder à l’info. Les personnes handicapées ont de plus en plus recours à tous les moyens pour être informées.

H.fr : Toutes les personnes handicapées ?
PG : Non car il y a des personnes dont on ne parle pas, ce sont celles qui sont lourdement handicapées. Comment leur permettre de connaître et d’exercer leurs droits ? Cela nécessite un accompagnement dans le plein exercice de leur citoyenneté. D’où l’importance de la capacité juridique qui doit être reconnue pour tous. C’est là le véritable enjeu. Le Défenseur des droits a émis un rapport sur ce sujet, qui est à l’ordre du jour de nos travaux. Si l’on fait avancer l’effectivité de ces droits, c’est un progrès pour l’ensemble de la société. Je suis viscéralement attaché au fait que le corpus juridique français doit évoluer sur ce plan. Mais il faut le faire de manière très pédagogique, en tenant compte de la diversité des situations. La France est très en retard dans ce domaine alors que de nombreux pays ont mis en place un système répondant aux critères que je viens de mentionner.

Jacques Toubon s’exprime…

Il choisit comme titre de son édito : « Ne jamais détourner le regard ».
« Parce que c’est là notre mission centrale : briser l’indifférence, ne pas mettre la poussière sous le tapis, refuser l’invisibilité, écouter et voir, regarder, apporter de la considération, prêter attention et éduquer pour prévenir. Cette mission se traduit dans notre travail par le fait que nous essayons de faire de l’effectivité des droits un vecteur d’égalité et de solidarité dans une société où l’on constate, à travers les réclamations, que les deux sont en recul. »

Quel bilan 2017 ? Les saisines sont manifestement en hausse…
« Je suis en fonction depuis 4 ans et le Défenseur des droits a manifestement pris une place considérable dans l’opinion publique et les medias. Ce sont donc 93 000 réclamations en 2017, soit une hausse générale de 7,8% par rapport à 2016 et de presque 18% sur les deux dernières années. Il faut ajouter à ce chiffre 51 000 informations générales, des questions sur lesquelles nous ne sommes pas compétents mais pour lesquelles nous pouvons donner des pistes et apporter une assistance. Ce sont au total 140 000 demandes individuelles ou collectives qui ont été traitées. »

Un Défenseur des droits mais aussi 475 délégués !
« Si le Défenseur des droits, c’est moi, nous avons aussi 475 délégués qui accueillent les réclamants dans 836 points dans toute la France. 77% des demandes ont été traitées par nos délégations territoriales. À un moment où les services publics se réduisent, c’est l’un des services de proximité les plus démultipliés. »

On constate en effet un retrait du service public, notamment lié à la numérisation des démarches.
« L’humain recule dans les activités d’accueil et d’orientation à cause de la dématérialisation. La numérisation est un progrès incontestable, par exemple parce qu’elle permet d’éviter des déplacements, notamment pour les personnes handicapées ou âgées ou dans les zones rurales, mais à condition qu’elle soit accessible et qu’elle fonctionne. On ne peut pas basculer du jour au lendemain sans précaution. Un seul exemple : depuis novembre 2017, les cartes grises se font exclusivement via le Net, et on déplore un vrai bug avec des milliers de dossiers en attente. »

Dans ce contexte, quelles propositions ?
« Je propose qu’il y ait systématiquement un service d’accompagnement avec une clause de vulnérabilité et que soient rendus accessibles aux personnes handicapées tous les sites publics, ce qui n’est pas encore le cas, même si le combat que nous avons mené en 2016 dans le cadre de la Loi Lemaire pour une République numérique a permis d’avoir des dispositions positives pour ce public. Mais pour les logiciels dédiés aux personnes malentendantes et malvoyantes, on est encore loin du compte. L’idée qu’on va réaliser la modernisation du service public via la numérisation est une idée fausse. Nous sommes favorables à la mise en place de maisons du service public. Ce retrait ne réduit pas la complexité des démarches, et j’ai même l’impression que le labyrinthe croit avec l’accumulation et le renouvellement des politiques de simplification. »

Quelle issue pour les saisines traitées par le Défenseur des droits ?
« Dans 78% des cas, le règlement à l’amiable a donné des résultats concluants, c’est à dire que les droits de la personne ont été rendus effectifs. Nous avons également présenté 137 observations devant diverses juridictions : tribunal de la Sécurité sociale, Conseil d’État ou encore la Commission européenne des droits de l’Homme. »

Le budget 2017 était pourtant en baisse…
« 25,5 millions d’euros en 2017 contre 29 millions l’année précédente mais nous avons mutualisé avec les services du Premier ministre toute une série de fonctions support et avons donc pu, par exemple, faire des économies sur les loyers. Mais, en parallèle, nous avons des missions nouvelles comme la protection des lanceurs d’alerte. Cette situation financière peut donc être préoccupante car elle crée beaucoup de tensions dans le travail de nos services. J’essaie, pour le Projet de loi de finances 2019, d’obtenir des moyens supplémentaires mais je ne suis pas certain d’y parvenir. »

À travers ces saisines, le Défenseur des droits dit porter un regard assez unique sur la société.
« On peut parfois recevoir jusqu’à 5 000 appels téléphoniques sur tel ou tel sujet d’actualité. Alors, bien sûr, 93 000 dossiers, c’est une goutte d’eau dans l’océan de la demande sociale mais, en même temps, cela permet de faire émerger un certain nombre de données. Ce que nous disons correspond à la réalité des rapports entre les groupes sociaux et cela permet de mesurer certains maux collectifs. »

Les personnes handicapées se plaignent des disparités dans l’accès aux droits selon les MDPH…
« Il y a de grandes disparités entre des MDPH qui font un travail remarquable et d’autres où les personnes handicapées se trouvent moins bien prises en charge. Nous prenons évidemment en compte les situations de discriminations qui sont créées dans certains territoires et plaidons régulièrement devant les tribunaux administratifs aux côtés, par exemple, de familles d’enfants autistes qui n’arrivent pas à obtenir de places. Nos actions sont très concrètes. Nous n’avons pas à savoir si nos décisions font plaisir à l’un ou à l’autre à partir du moment où c’est écrit dans les textes. Il faut bien comprendre que légalité c’est faire en sorte que personne ne puisse se considérer comme indigne et donc inférieur aux autres.

La loi ELAN sur le logement prévoit une majorité d’appartements neufs dits « évolutifs » après travaux et non plus immédiatement « accessibles » aux occupants handicapés (article en lien ci-dessous).
« Cette disposition remet en cause l’accessibilité universelle posée par la loi handicap de 2005. Il va falloir en débattre car elle est totalement contraire au droit. Nous allons avoir une discussion sur cette question mais, au final, c’est la majorité parlementaire qui dira si elle est acceptable ou pas. Je défends des positions, et même si les politiques publiques ne dépendent pas de moi, j’ai une force, c’est que nul ne peut m’empêcher d’écrire et de dire ce que je veux. C’est la place que le Défenseur des droits a réussi à prendre depuis sept ans, une vigie et une voix qui est écoutée, si ce n’est entendue. Etre entendu dépend de notre obstination, et nous en avons. »

Le mot de conclusion…
« Le Défenseur des droits, c’est une institution, une maison de la permanence. Il n’y a pas beaucoup de variabilité et je ne suis pas du genre girouette. Expertise, indépendance et liberté, c’est notre marque de fabrique, au service d’une mission très difficile dans le monde d’aujourd’hui. Nous avons le devoir de promouvoir les droits et libertés fondamentaux de manière universelle car il est un trésor que chaque homme et femme possède et que nul ne peut impunément bafouer qu’on appelle la dignité. »

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