Dans votre parcours de soins, en tant que patients douloureux, vous est-il arrivé d’entendre de la part d’un médecin « C’est dans votre tête » pour évoquer la cause de vos douleurs ? Certes, le cerveau peut jouer de mauvais tours, surtout quand il s’agit de douleurs qui se chronicisent (lire l’article sur la prise en charge de la douleur en France). En outre, le stress et l’anxiété ont tendance à augmenter les douleurs. Cependant, cette phrase « C’est dans votre tête », est souvent perçue par les patients comme une fin de non recevoir, même si elle reflète en réalité surtout à quel point les médecins sont désarmés et se sentent impuissants à soulager leurs patients.
Avec l’éclairage du docteur Perez-Varlan, médecin spécialiste de la douleur, de Nadine Randon, présidente de Fibromyalgie SOS, de Nathalie Deparis, directrice de l’Association francophone pour Vaincre les douleurs (AFVD), et le témoignage d’une patiente qui a souffert de douleurs et de fatigue presque toute sa vie, sans trouver de traitement efficace, nous avons tenté de retracer l’état d’esprit dans lequel se trouvent ces patients douloureux à qui l’on rétorque « C’est dans votre tête », de démêler le vrai du faux et d’exposer quelles sont les meilleures alternatives thérapeutiques à ce jour qui permettent de soulager des douleurs qui, à première vue, semblent sans cause, ni remède connus.
« C’est dans votre tête » : un « diagnostic » comme un constat d’impuissance ?
Le docteur Evelyne Perez-Varlan, médecin spécialiste de la douleur, reçoit régulièrement des patients douloureux qui se sont entendus dire par leur médecin, qu’il soit généraliste, rhumatologue ou d’autres spécialités, que leurs douleurs : « C’est dans votre tête ». Si les médecins spécialistes de la douleur sont désormais formés à ne pas formuler les choses ainsi, explique-t-elle, l’information mérite de se répandre plus largement encore auprès des autres spécialités de médecine pour éviter les maladresses.
Selon elle, il s’agit, le plus souvent, d’un constat d’impuissance des médecins, qui se sentent eux-mêmes désemparés quand ils ont fait le tour de tous les traitements susceptibles de soulager leurs patients, en vain. Elle souligne cependant qu’il y a des cas où les patients déduisent que c’est ce que le médecin a voulu dire, alors même que ce dernier ne l’a pas du tout formulé ainsi mais peut avoir exposé à son patient le fait que l’on ne trouve pas la cause, ni de traitement efficace à ses douleurs ou à sa fatigue.
Pour Nadine Randon, présidente de Fibromyalgie SOS, la fibromyalgie est un cas d’école en ce qui concerne les patients douloureux à qui l’on rétorque : « C’est dans votre tête ». « Hier encore, j’ai eu un mail d’une adhérente qui soupçonne qu’elle souffre de fibromyalgie et qui cherche un médecin compétent pour confirmer un éventuel diagnostic. Elle m’écrivait que son médecin généraliste lui a textuellement répondu : « Ces douleurs, c’est dans votre tête ». Je reçois malheureusement de nombreux témoignages dans ce sens. », déplore Nadine Randon. Cela ne l’étonne guère pourtant, car elle constate qu’il y a beaucoup de médecins, notamment de médecins conseils de la Caisse Primaire d’Assurance maladie qui sont « fibrosceptiques », c’est à dire pour qui la fibromyalgie n’est pas vraiment une maladie reconnue. La récente expertise collective de l’INSERM fait d’ailleurs état de l’importante errance médicale des patients fibromyalgiques et du nombre significatif de praticiens qui se sentent désarmés face à cette maladie et au peu de traitements efficaces à proposer.
Nathalie Deparis, directrice de l’AFVD (Association francophone pour vaincre les douleurs), déplore elle aussi le grand nombre de personnes qui contactent l’association en expliquant que leur médecin leur a signifié qu’il ne pouvait plus rien pour eux et que leurs douleurs « C’est dans votre tête ». Bien sûr elle comprend que cela révèle au fond un aveu d’impuissance de la part des médecins, qui sont probablement désolés de ne pas pouvoir soulager leurs patients. Cependant, insidieusement, les patients peuvent l’interpréter comme une façon de dire que leurs douleurs relèvent de leur responsabilité et non plus de celle du médecin, arrivé au bout de son arsenal thérapeutique. Dans de tels cas, c’est très culpabilisant pour les patients.
Cela corrobore le témoignage de Sophie, 70 ans, qui a souffert presque toute sa vie de douleurs diffuses et raconte : « À plusieurs reprises des médecins ont évoqué le fait que tout ce que je ressentais était « psychologique ». On m’a aussi plusieurs fois prescrit des antidépresseurs. J’ai certes vécu des moments difficiles dans ma vie mais je ne crois pas avoir jamais traversé de dépression, mis à part une dépression post-partum à la naissance de mon troisième enfant. […] J’avoue que j’étais assez agacée que l’on me prescrive régulièrement des antidépresseurs et que l’on sous-entende que mes maux étaient dus à un état dépressif. J’ai fini par me résoudre à vivre avec mes douleurs et ma fatigue, me forçant toujours à les dépasser, à me « secouer » je dirais. ».
« C’est dans votre tête » ? Et si le cerveau et le corps nous parlaient ?
Le docteur Perez-Varlan modère cependant le débat en soulignant que si l’on ressent la douleur c’est justement parce que l’on a un cerveau ! Dans un sens, les douleurs sont effectivement un signal qui passe par la tête. Pour aller dans son sens, Nadine Randon de Fibromyalgie SOS reconnaît que cette phrase malheureuse « C’est dans votre tête » est souvent considérée comme péjorative, alors qu’il est parfois vrai que le corps réagit en fonction de notre état émotionnel et que des douleurs peuvent en être le reflet. « On sait notamment que le stress peut provoquer des crises de fibromyalgie. Il faut cependant que les médecins le formulent de façon à ce que cela ne soit pas ressenti comme une fin de non recevoir et qu’ils continuent à accompagner leur patient pour apprendre à gérer ces douleurs. », ajoute-t-elle.
Le docteur Perez-Varlan fait le même constat dans ses consultations au centre antidouleurs où elle pratique. Son rôle est parfois de faire comprendre à certains patients que leurs douleurs peuvent être majorées par des facteurs extérieurs, comme des problèmes familiaux, un stress post-traumatique, des situations violentes. C’est aussi ainsi que le corps « parle ». Elle précise : « Je suis souvent confrontée à des patientes qui viennent pour des suspicions de fibromyalgie et donc des douleurs diffuses parfois très invalidantes. Il s’agit en réalité souvent de femmes très actives, qui mènent leur vie privée et professionnelle de front avec beaucoup d’efficacité mais sont proches, ou en burn-out. Finalement, par le biais des douleurs elles vont exprimer un appel à l’aide et c’est un moyen pour ces patientes de prendre conscience qu’elles doivent enfin prendre soin d’elles. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il n’y a pas d’origine organique même si on n’arrive pas à les mettre en évidence. On fait régulièrement des progrès et des découvertes sur le sujet de la douleur. D’ailleurs, d’un point de vue physiologique, on note que le seuil de la douleur est abaissé chez les personnes fibromyalgiques et que ces dernières sont généralement plus sensibles aux médicaments. ».
Reprendre confiance en la médecine quand on a parfois trop entendu « C’est dans votre tête », et envisager des traitements non-médicamenteux
Sophie, notre patiente douloureuse s’amuse : « Je ne sais pas si c’est dans ma tête, mais après avoir vécu une telle errance, de médecins en médecins, d’avis en avis, et sans jamais me sentir soulagée par les divers traitements, il y a de quoi devenir chèvre… ». Pour le Dr Perez-Varlan, que la phrase ait été formulée ou non, si le patient est marqué par cette idée que ses douleurs sont dans sa tête, il y a alors un travail à faire avec lui pour qu’il s’en détache, d’autant plus s’il a vécu des années d’errance médicale. Elle ajoute : « Quand un patient arrive dans un centre antidouleurs, notre discours doit alors être assez motivant pour que ces patients, qui souffrent de douleurs chroniques, parfois depuis des années, continuent à croire qu’ils pourront être soulagés et nous fassent confiance, d’autant qu’à ce stade, nous devons encore tester différents traitements avant de trouver le plus efficace. En outre, le patient devra s’engager à faire en parallèle de l’exercice physique, suivre probablement des thérapies complémentaires. La motivation et l’implication sont indispensables. C’est dire l’importance de créer avec les patients une véritable alliance thérapeutique. ».
Pour revenir aux antidépresseurs si souvent proposés à Sophie, notre patiente-témoin, Nathalie Deparis de l’AFVD précise que les médicaments sont sûrement trop souvent prescrits de façon mécanique même s’ils peuvent aussi aider à passer un cap dans un premier temps. En ce qui concerne la prescription d’antidépresseurs, elle constate qu’effectivement, cela est perçu comme vexant pour certains patients. Elle souligne toutefois que certains médicaments prescrits pour leurs effets antidépresseurs agissent également sur un certain type de douleurs, comme les douleurs neuropathiques. En outre, la douleur peut-être si difficile à vivre, qu’à terme, elle peut provoquer des troubles dépressifs qui ne doivent pas être négligés.
Quant à Nadine Randon de Fibromyalgie SOS, elle précise que le traitement de première intention pour la fibromyalgie consiste en une prise en charge multidisciplinaire, avec de l’activité physique adaptée, des thérapies autour de la gestion du stress, etc. et que les médicaments ne doivent être prescrits qu’en seconde intention. Elle insiste : « On voit malheureusement encore trop de patients traités directement par médicaments, parfois à très fortes doses dès le début, alors que les traitements pharmacologiques ont souvent des effets secondaires très pénibles pour les patients. Ces médicaments assomment certes la douleur mais ils assomment également les patients, qui n’ont alors plus la force de faire quoi que ce soit, surtout pas de suivre des thérapies complémentaires qui sont pourtant efficaces. »
Psychothérapie, hypnose, relaxation, méditation pour prendre soin de la tête et du corps…
Ainsi que le rappelle le Dr Perez-Varlan, l’information douleur est traitée par le cerveau mais le soulagement de cette douleur est également possible grâce au cerveau ! En effet, la douleur dans le corps remonte dans la moelle pour aller jusqu’au cortex et va être modulée par différentes zones du cerveau, notamment l’amygdale, qui est le centre de l’émotion. Plus on va être sensible à des émotions qui s’accumulent, et plus on va être sensible à la douleur. Au contraire, plus on fait de méditation ou de relaxation et plus on va diminuer le signal de la douleur. Dans un sens positif, comme négatif, c’est effectivement le cerveau qui contrôle tout, mais cela ne veut pas dire qu’il est forcément à l’origine de la douleur.
Elle ajoute que s’il est vrai que le cerveau « s’habitue » à la douleur, les travaux récents sur ce que l’on appelle la « plasticité cérébrale » montre que ce phénomène est également réversible. Certaines thérapies complémentaires, comme l’hypnose, la relaxation, la méditation pleine conscience, des exercices de visualisation notamment, peuvent aider à « reprogrammer » le cerveau. « Il est nécessaire cependant que le patient adhère à ce type de traitement. Il y peut y avoir un effet placebo parfois mais des IRM fonctionnelles ont montré que ce type de traitement agissait réellement sur le cerveau. Par exemple, il a été démontré par le biais d’IRM, que de penser à prendre un crayon et de prendre effectivement un crayon dans sa main, stimulaient les mêmes zones du cerveau. J’ai eu moi même le cas d’un patient paralysé qui a récupéré de la motricité grâce à des exercices de visualisation en état de conscience modifiée. », confie-t-elle.
Nathalie Deparis de l’AFVD soutient ces approches non médicamenteuses pour les patients douloureux. Elle souligne que quand la douleur est trop envahissante, cela change la vie, cela fait forcément réfléchir. Certains patients ont besoin d’être accompagnés en psychothérapie pour poser ce fardeau. En outre, lorsque des douleurs psychologiques, du stress, des blocages émotionnels, etc. aggravent des douleurs physiologiques, des alternatives thérapeutiques tels que l’hypnose, la sophrologie, la méditation, le yoga peuvent aider à soulager les douleurs.
Bien entendu, les prises en charge en centres antidouleurs sont une bonne alternative car les patients douloureux peuvent être suivis « gratuitement », par une équipe pluridisciplinaire et bénéficier d’approches thérapeutiques non médicamenteuses, notamment de consultations avec des psychologues le cas échéant. Ces thérapies alternatives ne sont en revanche pas remboursées par l’Assurance maladie quand on consulte en dehors d’un centre pluridisciplinaire, comme un centre antidouleurs. Malheureusement les centres antidouleurs sont saturés. Nathalie Deparis de l’AFVD, rappelle que seuls 3% des patients douloureux sont pris en charge dans des centres antidouleurs en France.
Au mieux on peut parfois bénéficier d’une prise en charge par sa complémentaire santé pour des thérapies complémentaires, mais bien souvent, le montant de remboursement de ce type de soin est plafonné à une poignée de consultations annuelles. Cela peut valoir la peine également de se rapprocher des associations de patients locales qui proposent parfois des programmes de thérapies non médicamenteuses à des prix raisonnables.
Témoignage dans son intégralité de Sophie, notre patiente-témoin, 70 ans, Ile-de-France
« Je me souviens d’un premier coup de fatigue épouvantable lorsque j’ai eu 35 ans et j’avoue qu’à l’époque, je n’en ai même pas parlé à des médecins. J’ai commencé à me dire que cela pouvait être chronique et lié à un problème de santé, quelques années plus tard, alors que j’ai eu des problèmes et des traitements pour la thyroïde. J’allais alors tellement mal, je me sentais si constamment fatiguée, que je me suis mise sérieusement à chercher une cause à ma fatigue.
A côté de cela, je souffre de douleurs que je qualifie de rhumatismales depuis l’âge de 18 ans. Pour moi, c’était héréditaire car mon père en souffrait également. Je dis souvent que je me lève le matin et que je sens mon corps entièrement douloureux, comme si j’avais dormi dans le coffre de ma voiture ! Je me souviens notamment d’une très grosse crise de douleurs dans les genoux et les hanches lorsque j’avais environ 35 ans.
Dès l’âge de 25 ans, j’ai consulté un rhumatologue mais je n’ai jamais vraiment eu ni de diagnostic, ni de traitement efficace. Aujourd’hui on me parle de fibromyalgie.
Pour traiter cette fatigue et ces douleurs, j’ai donc consulté au cours de ma vie, un grand nombre de médecins conventionnels et j’ai aussi tenté quelques médecines alternatives. J’ai testé des tas régimes, tantôt végétariens, tantôt sans gluten. Pour l’instant rien n’y a fait.
A plusieurs reprises des médecins ont évoqué le fait que tout ce que je ressentais était « psychologique ». On m’a aussi plusieurs fois prescrit des antidépresseurs. J’ai certes vécu des moments difficiles dans ma vie mais je ne crois pas avoir jamais traversé de dépression, mis à part une dépression post-partum à la naissance de mon troisième enfant, et qui avait été efficacement traitée par des médicaments. Pour tous les autres essais d’antidépresseurs que j’ai pu faire, à chaque fois, cela a généré chez moi ce que l’on appelle des « réactions paradoxales », c’est à dire qu’au lieu de me permettre d’aller mieux, les médicaments m’assommaient, même si j’insistais et les prenais plusieurs semaines, ainsi que les médecins me le recommandaient.
J’avoue que j’étais assez agacée que l’on me prescrive régulièrement des antidépresseurs et que l’on sous-entende que mes maux étaient dus à un état dépressif. J’ai fini par me résoudre à vivre avec mes douleurs et ma fatigue, me forçant toujours à les dépasser, à me « secouer » je dirais. Certains jours je m’effondre et le lendemain je peux être en grande forme sans savoir pourquoi. Cela ne m’a pas empêchée d’avoir une vie personnelle et professionnelle très remplies, de voyager régulièrement, de m’essayer à plein de sports, comme l’aïkido, le ski, la natation, l’escrime, etc. (je reconnais cependant ne plus pratiquer de sport depuis quelques années), mais je sais que si je ne dors pas assez par exemple, je peux littéralement m’écrouler. Aujourd’hui encore, mes analyses de sang sont bonnes, et à part l’épisode de la thyroïde apparu vers 45 ans, je suis, sur le papier, en parfaite santé. Je finis par me dire que tout ces médecins avaient peut-être raison… c’est peut-être ma tête qui ne va pas ! Cela dit, quand je vois à quel point les divers médecins que j’ai consultés tout au long de ma vie, se contredisent, je me dis que c’est peut-être eux qui devraient se mettre d’accord ! Je ne sais pas si c’est dans ma tête, mais après avoir vécu une telle errance, de médecins en médecins, d’avis en avis, et sans jamais me sentir soulagée par les divers traitements, il y a de quoi devenir chèvre… »
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