Résumé

Les Enjeux territoriaux se penchent sur le vécu des personnes en fauteuil roulant à travers les villes. L’expérience spatiale se rapproche d’une course d’obstacles depuis les regards que l’on supporte jusqu’aux barrières que l’on contourne et jamais l’exploration n’est possible.

Avec Enka Blanchard, géographe, chercheuse au CNRS.

Comprendre l’expérience spatiale d’une personne handicapée, c’est d’abord définir son espace personnel. Il y a deux points qui sont importants à souligner. D’une part la place occupée par les prothèses et d’autre part, la fréquence des intrusions de la part des « marchants ». « Dès qu’on est visiblement handicapé dans la rue, on n’a plus de légitimité à être soi en public. La ville ne tient plus sa promesse de base qui est qu’on peut être dedans, anonyme, qu’on peut être un individu parmi d’autres » relève Enka Blanchard.

Mais les handicaps sont aussi invisibles : « Les personnes ayant des handicaps cognitifs sont soumis à une version extrême du métro-boulot-dodo. Ces personnes ont trois lieux de vie : le local de leur médecin, leur domicile et leur lieu de travail. Ils ne se baladent pas et ne vont pas dans les restaurants, c’est extrêmement restreint.« 

La ville pour les roulants

Marchants et roulants

Enka Blanchard confronte la notion de « marchants », ceux qui peuvent se déplacer librement, qui peuvent monter les marches, prendre les transports en commun et explorer la ville ; aux « roulants » qui, contraints par des prothèses ou fauteuils roulant voient leur quotidien complexifié : « Le marchant peut aller à beaucoup d’endroits, le roulant beaucoup moins et pas seulement à cause de considérations techniques comme le fait qu’il manque une rampe d’accès. Mais parce qu’il y a un ensemble d’événements qui peuvent se produire et qu’on doit prévoir » explique la chercheuse. Comme par exemple un taxi qui refuse l’assistance à la dernière minute.

Accessibilité piétonne

Une carte a été réalisée par Enka Blanchard et ses collègues : « Sur cette carte, on peut voir l’espace qu’une personne partant de Bastille peut explorer en trois quarts d’heure. Nous avons alors regardé avec des contraintes tout à fait raisonnables sur un fauteuil roulant : à partir du même endroit, la personne pouvait explorer moins de 15% de l’espace. » Parfois, les détours prennent plus d’un kilomètre pour pouvoir accéder à la zone désirée.

L’inquiétude de ne pas parvenir à un objectif renforce la charge mentale des personnes atteintes de handicap. Par exemple, lors d’un voyage, environ 5% du matériel se casse : « Dans l’avion, j’ai une chance sur 20 que l’on casse mon fauteuil » déclare Enka Blanchard, « ça fait hésiter !« 

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Signalisation

En moyenne, un roulant a le regard fixé 30 centimètres moins haut qu’un marchant. « Il y a une différence de point de vue : quand on est assis, ou qu’on est une personne de petite taille, on est plus bas, tout comme quand on est enfant. Dans un musée étasunien, une exposition a été présentée avec des œuvres baissées d’une trentaine de centimètres. C’était donc plus naturel pour les personnes qui sont plus bas. Mais pour toutes les autres, il y avait une sensation d’espace étrange » explique Enka Blanchard.

Enka Blanchard termine par l’essentiel de son travail : « cette différence entre une personne debout et une personne assise a un énorme impact, à la fois sur la mobilité mesurable ou scientifique, mais aussi sur le coût mental et le coût de prévision. Une personne assise doit prévoir ses trajets longtemps à l’avance, parce qu’on sait qu’on doit faire face à des imprévus qui arrivent avec une telle fréquence, que ne pas être prêt, c’est ne pas arriver. »

Source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-territoriaux/le-territoire-vecu-des-personnes-handicapees-5395514

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