Chaque année, les Caf versent 80 milliards d’euros de prestations, comme l’AAH, à 12 millions d’allocataires. Comment s’effectue un contrôle ? Quel recours en cas de litige ? Réponses d’Esther Tricoit*.

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* Directrice du département production au sein de la Cnaf

Handicap.fr : Quelle est la politique de contrôle des Caisses d’allocations familiales (Caf) ?

Esther Tricoit : La politique de contrôle de la branche Famille de la Sécurité sociale est l’un des piliers de notre modèle de protection sociale. Pour verser 80 milliards de prestations à nos 12 millions d’allocataires, il faut s’assurer, par des moyens proportionnés, qu’on les verse « à juste-droit ». Notre modèle repose sur différentes méthodes, dont la fouille de données ou datamining, afin de contrôler les situations les plus à risque d’erreur.

H.fr : Sur ces 80 milliards de prestations, quelle est la part de fraude ?
ET : Elle est très limitée et représente moins de 1 % des prestations versées. En général, ce sont des fausses déclarations ou des omissions de déclaration intentionnelles, portant sur des ressources, des situations professionnelles ou des situations familiales. Les moyens de contrôle se sont considérablement développés, notamment grâce aux échanges informatisés entre administrations.

H.fr : Qui exécute ces contrôles ?
ET : Les agents des Caf réalisent un grand nombre de contrôles sur pièces, à partir des justificatifs demandés aux allocataires ou en exploitant les divergences relevées par les échanges informatiques. Plus particulièrement, nous avons des contrôleurs assermentés par les tribunaux de grande instance (TGI). Ils se rendent au domicile de certains allocataires ou les convoquent à la Caf pour effectuer un contrôle exhaustif de leur situation, notamment en récupérant des pièces justificatives que ces derniers ne pensent pas forcément à amener lors des rendez-vous avec les conseillers des Caf. Un contrôle peut aboutir à un trop-perçu mais aussi, dans 42 % des cas, à des rappels en faveur des allocataires.

H.fr : Les contrôleurs ont-ils le droit, par exemple, de vérifier des données sur l’ordinateur d’un allocataire ?
ET : Non, les contrôles se déroulent selon une charte précise. Les contrôleurs peuvent demander des pièces justificatives et il est du devoir de l’allocataire contrôlé de les fournir dans les délais fixés. Pour info, cette charte du contrôle est disponible sur caf.fr, et est indiquée dans les avis de contrôles.

H.fr : Que peut engendrer un refus de contrôle ?
ET : C’est un motif légitime de suspension des prestations. La plupart du temps, les allocataires sont prévenus à l’avance du passage du contrôleur. Les allocataires peuvent évidemment être absents pour des motifs légitimes, c’est la raison pour laquelle la Caf ne suspend jamais les droits lors du premier refus de contrôle ou du premier passage. Par contre, au deuxième refus ou absence, si la personne a été notifiée, cela peut changer la donne.

H.fr : L’absence de déclaration trimestrielle de ressources peut également conduire à une rupture de droits…
ET : En effet. Si un allocataire n’envoie pas sa déclaration trimestrielle, notamment dans le cadre du versement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la Caf est tout simplement dans l’incapacité de calculer ses droits. Dans notre système d’informations, cela n’est pas assimilé à une suspension de droits ; ce n’est pas une sanction mais une attente de documents. Par ailleurs, les minima sociaux (AAH, RSA) sont soumis à des délais spécifiques et bénéficient d’un versement plus rapide que des prestations comme la prime d’activité ou les aides au logement, parce que nous savons que ce sont des moyens de subsistance pour les allocataires. Nous faisons donc le maximum pour éviter les ruptures de droits.

H.fr : Le Défenseur des droits a souvent reproché à la Caf de consacrer beaucoup d’efforts à la chasse à la fraude au détriment d’autres services. Qu’avez-vous à répondre ?
ET : Nous n’opposons pas lutte contre la fraude et accès aux droits ou accompagnement des allocataires. Toutes ces missions sont importantes. Le personnel qui se charge de la gestion et de la délivrance du service aux allocataires représente plus de 50 % des effectifs. A contrario, les services de contrôles représentent moins de 10 %. Les travailleurs sociaux sont également nombreux. Autre exemple de nos missions, en ce moment, nous sommes sollicités par le ministère de l’Education nationale au sujet des vacances apprenantes et le fait de ne pas laisser les parents sans mode de garde. Généralement, ces initiatives sont assez peu connues car lorsque l’on évoque la Caf, on pense « versement des prestations ». Mais notre mission est aussi de favoriser l’inclusion sociale et l’accompagnement des familles fragilisées par des événements de vie.

H.fr : Mais les dossiers sont parfois très complexes, notamment pour les personnes en situation de handicap…
ET : C’est pourquoi nous essayons, au fur et à mesure, de transformer nos écrits, notamment en utilisant le Facile à lire et à comprendre (FALC). Nous travaillons en collaboration avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (Cncph) afin d’améliorer l’accessibilité des formulaires.

H.fr : Quel recours en cas de litige avec la Caf ?
ET : La première étape, c’est la réclamation par courriel ou courrier. Elle est étudiée par des gestionnaires Caf qui ont l’expertise pour identifier et rectifier une éventuelle erreur. Compte-tenu du nombre de dossiers que nous traitons, cela peut effectivement arriver.

H.fr : Cette première étape peut-elle prendre du temps et laisser les allocataires démunis ?
ET : Non, plus des 2/3 des réclamations sont traitées en moins de 10 jours. Ces dernières années, nous avons facilité le recours aux réclamations, qui ont d’ailleurs augmenté, et avons amélioré nos délais de traitement.

H.fr : Que se passe-t-il si l’allocataire n’est pas satisfait de la décision finale ?
ET : Dans 90 % des cas, il l’est. Dans le cas contraire, il peut saisir le médiateur administratif de la Caf. Chacune d’elle propose cette possibilité depuis 4-5 ans.

H.fr : Quel est le rôle du médiateur de la Caf ?
ET : C’est un service indépendant du secteur « prestations », pourvu d’une mission d’accès aux droits. Il intervient lorsqu’une situation de blocage persiste, sur la forme, en cas d’explications supplémentaires nécessaires, mais aussi sur le fond du dossier. Par conséquent, l’intervention du médiateur peut conduire à rétablir des droits mais aussi à informer les allocataires sur des éventuelles prestations qu’ils auraient oublié de solliciter.
Le hic, c’est qu’il est souvent saisi pour des problématiques de créances. Or, les services des Caf savent gérer ces dossiers et proposer des plans de remboursement étalonnés en fonction des capacités de chacun.

H.fr : Un avocat précédemment interviewé estimait que le médiateur était impuissant en cas de litige avéré. Vous confirmez ?
ET : Non. Mais le médiateur administratif n’étant pas une autorité judiciaire, il ne peut pas intervenir sur un recours contentieux déjà formé. Pour rappel, il existe deux types de recours administratifs : amiable -une commission au sein des Caf examine les demandes de remise de dettes ou les contestations sur le droit- et contentieux. A noter qu’aujourd’hui, il n’existe plus de tribunaux de Sécurité sociale, ce sont les pôles sociaux des TGI qui doivent être saisis.

H.fr : En quoi consiste la médiation préalable obligatoire (MPO) mise en place dans certaines Caf ?
ET : C’est un outil expérimental recommandé par le Défenseur des droits qui consiste à tenter de régler le dossier en interne et en amont, avant de déboucher sur un contentieux et d’avoir recours à un avocat. C’est un dispositif particulièrement utile pour désengorger les tribunaux. Compte-tenu des délais actuels, un dossier pour un contentieux peut prendre un an et demi, voire deux, selon les Caf, délai durant lequel l’allocataire peut ne plus percevoir ses droits et se retrouver dans une situation chaotique. Notre souhait est d’éviter le plus possible les contentieux. En 2020, les Caf auront des ratios à respecter : moins de 1 % de suspension totale des droits et moins de 5 % de suspensions partielles (le temps que l’on récupère une pièce justificative manquante). Une première !

H.fr : Aujourd’hui, quelle est la part de ces suspensions ?
ET : Pour la branche Famille : 1,6 % totales et 4,9 % partielles. Moins on suspend, plus cela signifie que l’on a anticipé les informations que l’allocataire devait nous donner. L’enjeu est de favoriser cette démarche proactive, cela provoquera moins de sollicitations dans les Caf, moins d’incompréhension, moins d’incivilité. C’est aussi un facteur de confiance entre le service public que l’on représente et nos allocataires qui sont en général très dépendants de ces prestations.

H.fr : L’ordonnance du 25 mars 2020 interdit formellement toute suspension des droits pour absence de communication de déclaration ou absence de renouvellement pendant la période d’urgence sanitaire. Jusqu’à quand sera-t-elle effective ?
ET : L’ordonnance offre la faculté aux Caf de maintenir le droit versé même sans manifestation de l’allocataire. Nous avons eu recours à ce dispositif du 12 mars au 10 juillet 2020, fin de la période d’état d’urgence sanitaire. Durant le mois d’avril, nous avons ainsi maintenu les droits de 27 % des bénéficiaires de l’AAH ; cette population peut, par nature, avoir des difficultés au niveau de l’autonomie administrative, notamment quand les services sociaux ou départementaux sont fermés et qu’il n’y a pas de travailleurs sociaux pour l’accompagner dans leur déclaration. Le but était d’éviter que les allocataires subissent les contrecoups du confinement. Depuis le 10 juillet, nous sommes revenus au processus classique de gestion des dossiers et demandons aux allocataires de nous déclarer leurs revenus.

Source : https://informations.handicap.fr/a-aah-litige-controle-caf-recours-13124.php


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