Quel est le rôle du Défenseur des droits dans le suivi et la mise en oeuvre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), et dans cet examen par les Nations unies ?

En 2012, l’institution du Défenseur des droits a été désignée par le gouvernement comme mécanisme indépendant chargé du suivi de l’application de la CIDPH au titre de l’article 33.2. Cette désignation tire sa légitimité du statut d’autorité constitutionnelle indépendante du Défenseur des droits et aussi des missions qui lui sont conférées par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, qui le placent au coeur des problématiques rencontrées par les personnes en situation de handicap. Nous sommes, à ce titre, en lien direct avec les personnes handicapées qui nous saisissent et avec les associations représentatives via, notamment, notre Comité d’entente handicap, le CFHE, le Collectif Handicaps et le CNCPH avec lesquels nous échangeons régulièrement.

Le suivi de la mise en oeuvre de la CIDPH s’inscrit de manière continue dans nos actions de protection et de promotion des droits. À ce titre, nous nous employons notamment à donner plein effet à la Convention, en tant que norme juridique, dans le traitement des réclamations et à faire évoluer l’interprétation du droit conformément à la CIDPH.

Depuis 2011, le Défenseur a ainsi adopté près de 400 décisions relatives au handicap. Nous avons également publié plusieurs guides et rapports destinés à informer et sensibiliser les différents acteurs sur la mise en oeuvre de la CIDPH.

En outre, dans une démarche de concertation et d’échange, le Défenseur des droits a constitué un Comité national de suivi de la CIDPH réunissant les principaux acteurs impliqués dans le suivi de la Convention : Conseil français des personnes handicapées pour les affaires européennes et internationales (CFHE), Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).

Dans la perspective de l’examen de la France par les Nations unies, le Défenseur des droits a remis au Comité des droits des personnes handicapées (CRPD), en juillet 2021, un rapport parallèle, dans la continuité de son rapport sur la mise en oeuvre de la CIDPH par la France publié en juillet 2020. En tant que mécanisme indépendant, le Défenseur des droits était également invité à participer aux échanges avec le CRPD, lors de la session d’examen de la France, en août dernier, et à faire état, à cette occasion, de ses constats et recommandations en vue du respect par l’État de ses engagements au titre de la CIDPH.

Quelles sont les principaux constats portés par le Défenseur des droits sur la mise en oeuvre de la CIDPH ?

Pour le Défenseur des droits, le bilan de la mise en oeuvre de la Convention par la France est contrasté. Certes, de nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années et l’ambition politique de faire du handicap une question prioritaire mérite d’être saluée. Mais d’importantes lacunes subsistent. Dans de nombreux domaines, les écarts importants entre cette ambition, les objectifs poursuivis et l’effectivité de leur mise en oeuvre sont préoccupants.

La France n’a pas encore pris pleinement en considération la nouvelle approche fondée sur les droits, induite par la Convention. L’approche du handicap reste essentiellement médicale, comme en témoigne la définition du handicap introduite par la loi du 11 février 2005. Le changement de paradigme qu’impose la Convention n’est pas inscrit culturellement dans l’approche française sur le handicap. Celle-ci est traditionnellement, et reste encore aujourd’hui essentiellement fondée sur les incapacités de la personne auxquelles des réponses sont apportées, au titre de la solidarité nationale, voire familiale. Et ce n’est pas sans conséquences sur les orientations prises en matière de politiques du handicap, la priorité étant accordée aux réponses en termes de compensation individuelle – sans pour autant d’ailleurs réellement y parvenir – au détriment d’une nécessaire transformation de l’environnement dans un objectif de société inclusive, ouverte à tous.

Nous ne pouvons que déplorer le retard important pris par la France en matière d’accessibilité et les réticences des pouvoirs publics à la considérer comme une condition préalable essentielle à la jouissance effective des droits reconnus par la Convention. La France accuse depuis de nombreuses années un retard important et, à ce jour, le bilan reste très inquiétant. L’accessibilité est encore loin d’être effective dans la plupart des domaines visés par la Convention. Non seulement les objectifs et les échéances fixés par les lois successives ne sont pas respectés, mais pire encore, la France n’ayant pas intégré le principe de conception universelle, elle continue aujourd’hui de construire et de produire des biens et services inaccessibles, mettant ainsi en péril l’égal accès aux droits fondamentaux des personnes handicapées pour les années à venir.

De nombreux freins à l’autonomie, à l’indépendance et à la pleine participation des personnes handicapées existent ainsi aujourd’hui en raison, d’une part, de l’absence d’accessibilité universelle, et d’autre part, des réponses en matière de compensation insuffisantes ou inadaptées.

La transition inclusive voulue par la Convention nécessite une transformation profonde de l’environnement reposant sur l’ensemble des acteurs. Or, nous devons regretter l’insuffisante sensibilisation et formation des décideurs publics (législateur, administrations, collectivités territoriales, …) mais aussi des autres acteurs de l’éducation, de la santé, de la justice, des loisirs, de la culture, etc., avec pour conséquences des lacunes majeures dans la mise en oeuvre effective de la Convention.

Les personnes handicapées restent encore aujourd’hui stigmatisées en raison d’une représentation stéréotypée, le plus souvent négative, du handicap. Ces préjugés alimentent, dans de nombreux domaines, des discriminations à l’égard des personnes handicapées. Elles constituent le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination, et ce depuis plusieurs années. L’emploi est le premier domaine concerné, mais ces discriminations s’exercent dans de nombreux autres domaines : accès des enfants handicapés à l’éducation, aux activités périscolaires ; accès à la santé ; accès à la justice ; accès aux loisirs, au sport, à la culture… Et elles peuvent se cumuler avec des discriminations fondées sur d’autres critères. Les femmes handicapées, par exemple, tendent ainsi à se retrouver doublement exclues.

Enfin, il faut également souligner le manque de données sur le handicap dans certains domaines, comme par exemple le nombre d’enfants non scolarisés, faute de recensement de la population handicapée. Autant de constats qui, sans être exhaustifs, montrent que les engagements pris par la France en ratifiant la Convention restent encore, à de nombreux égards à concrétiser.

Quel bilan peut être tiré de l’examen de la France par le Comité des droits ?

L’examen de la France par le Comité des droits a permis d’éclairer le chemin qu’il reste à parcourir « pour garantir et promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap », comme la France s’y est engagée en ratifiant la Convention.

Le Défenseur des droits se réjouit de voir ses principales recommandations reprises par le Comité dans ses observations finales adressées à la France. En effet, dans la lignée de notre rapport parallèle, le Comité appelle notamment l’État français à :

• Revoir la législation et les politiques existantes relatives au handicap pour les harmoniser avec la Convention, notamment en transposant en droit interne le modèle du handicap fondé sur les droits de l’Homme ;
• Interdire la discrimination multiple et intersectionnelle fondée sur le handicap, et à adopter des stratégies pour éliminer ces discriminations ;
• Reconnaître le refus d’aménagement raisonnable comme une forme de discrimination dans tous les domaines de la vie ;
• Mettre en oeuvre l’accessibilité universelle, notamment en matière de logement et d’hébergement, de transports publics, d’espaces publics et de technologies numériques ;
• Réformer la réglementation de l’allocation adulte handicapée afin de séparer les revenus des personnes handicapées de ceux de leurs conjoints, et prendre des mesures pour assurer et promouvoir l’autonomie et l’indépendance des femmes handicapées vivant en couple ;
• Renforcer les ressources humaines, techniques et financières allouées au Défenseur des droits pour accomplir son mandat de suivi de la Convention.

Le Défenseur des droits appelle de ses voeux la transition inclusive voulue par la Convention et veillera, en lien avec les associations représentatives des personnes handicapées, à la mise en oeuvre effective des recommandations du Comité. Il conviendra, sur ce point, d’être particulièrement vigilant afin que la démarche inclusive engagée par la France ne se fasse pas au détriment des plus vulnérables et que des moyens suffisants et adaptés soient prévus pour répondre aux besoins de toutes les personnes quel que soit leur handicap.

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