Les aidants ne craquent pas parce qu’ils sont fragiles — ils craquent parce qu’ils portent seuls, sur leurs épaules, un système entier qui s’est effondré.

Image générée par IA Mistral
Les Aidants au bord de l’épuisement : le système français défaillant.

Voici ce qui ressort des auditions du 24 septembre 2025 à l’Assemblée nationale :


1. L’État défaillant : la famille comme plan B

L’État ne remplit pas son rôle. La charge de la prise en charge est déléguée aux familles — souvent par défaut.
Luc Gâteau (Unapei) souligne que les ruptures de prise en charge sont fréquentes, tant pour les enfants que pour les adultes en situation de handicap. Quand une structure n’existe pas, n’a pas de place ou n’est pas adaptée, ce sont les familles qui “bouchent les trous”, à domicile.

En clair : pas de solution → donc vous êtes la solution.

Le Collectif Handicaps confirme : en l’absence de politiques publiques ambitieuses en santé mentale et handicap, l’accompagnement repose “en grande partie sur les aidants”. Ces derniers sont invisibilisés, peu valorisés — alors qu’on leur demande d’assumer le rôle d’un système qui ne fonctionne pas.

Conséquence psychique immédiate :
→ Hyper-responsabilité permanente (“Si je lâche, tout s’écroule”)
→ Culpabilité dès qu’on ose demander du répit (qui, de toute façon, n’existe presque pas)
→ Impossibilité de baisser la garde
→ Charge mentale chronique → usure émotionnelle profonde.

Les députés ont entendu clairement : la santé mentale des aidants se dégrade parce qu’on leur a transféré les responsabilités de l’État… sans leur fournir la protection psychologique, matérielle, financière ni le répit nécessaires.


2. Des droits sur le papier, mais pas dans la réalité

Les droits existent… sur le papier.
Luc Gâteau rappelle que l’accès aux soins, aux aides humaines, à l’éducation, au logement… est théoriquement garanti — mais pas dans la pratique. Délais interminables, refus de prise en charge, orientations vers des structures inadaptées.

En gros : quand le droit n’est pas appliqué, c’est encore la mère ou le père qui compense — pas l’administration.

Et cette compensation devient un travail 24h/24, émotionnellement lourd, injuste, non choisi — souvent sans formation ni soutien psychologique.

APF France handicap rappelle qu’en 2025, 20 ans après la loi de 2005, certains droits fondamentaux restent inappliqués. Exemple concret : la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) peut financer des gestes médicaux très lourds (toilette, aspiration trachéale, stomie…), mais pas les tâches ménagères. Résultat : après des soins complexes, c’est encore la famille qui doit gérer la maison.

Mentalement, cela crée :
→ Un épuisement global : pas seulement “soigner l’enfant”, mais tout tenir autour — linge, vaisselle, paperasse MDPH, coordination entre médecins, école, transport, loisirs…
→ Un sentiment d’être piégé dans un rôle sans pause, sans reconnaissance.
→ Un burn-out structurel, invisible parce que “officiellement, les droits existent”.


3. Un système fragmenté, illisible même pour les professionnels

Les associations décrivent un paysage de dispositifs qui s’empilent sans cohérence : CLIC, DAC, communautés 360, PAS, SPDA…
On crée de nouveaux outils avant que les précédents ne fonctionnent — sans coordination entre médico-social, éducation nationale, secteur sanitaire, ASE, France Travail…

Même les pros s’y perdent.

Et qui navigue dans ce chaos ? Les parents aidants.
Ils doivent comprendre qui fait quoi, qui finance quoi, qui accepte leur enfant, à quelles conditions.

Charge mentale =
→ Gestion de projet administratif
→ Gestion médicale
→ Présence affective 24h/24

On demande à des parents de devenir directeurs de parcours de soins pluridisciplinaires.
Psychiquement, c’est violent.
Parce qu’une erreur administrative peut priver l’enfant ou l’adulte de soutien pendant des mois.


4. Pas de politique globale, pas de pilotage, pas de financement

Le Collectif Handicaps pointe la première défaillance : l’absence d’une politique publique cohérente, pilotée, financée, pensée sur le long terme pour la santé mentale et le handicap.
Il y a un empilement d’annonces, de plans jamais financés, jamais structurés — feuilles de route, fonds d’innovation, conférences annoncées puis annulées.

On vit dans l’urgence permanente. Tout est traité au cas par cas.

Les familles n’ont aucune visibilité :
“Y aura-t-il une place demain ?”
“Mon enfant aura-t-il un accompagnement quand je serai trop âgé ?”

Cette incertitude est anxiogène — voire existentielle.

Luc Gâteau insiste sur l’avancée en âge : qui accompagnera les personnes handicapées quand les parents vieilliront ?
Aujourd’hui, il n’y a pas de réponse sécurisée.
Les parents vivent donc avec la peur : “Qu’est-ce qui lui arrivera quand je ne serai plus là ?” — une des sources majeures d’anxiété chronique et de dépression chez les aidants.


5. Pénurie de professionnels → retour à la charge familiale

Il y a une pénurie de professionnels formés et disponibles.
Les familles ne savent pas si elles auront accès à un accompagnement adapté — maintenant ou plus tard.
Les élèves/étudiants en situation de handicap craignent que leur avenir soit bloqué faute d’accompagnement.

Deux effets directs sur les aidants :

  1. Le répit n’existe presque pas → pas de décompression psychique.
    Et quand il existe… il faut encore l’organiser, le coordonner, le financer.
  2. L’hypervigilance permanente : ils savent qu’il n’y a personne derrière pour les remplacer s’ils tombent.

À long terme, l’hypervigilance détruit le sommeil, la mémoire, la capacité à ressentir du plaisir — bref, la santé mentale.


6. La santé mentale des aidants : un enjeu de santé publique ignoré

Le Collectif Handicaps le dit clairement : les défaillances de l’État en matière de santé mentale et de handicap grèvent lourdement le budget des familles — et celui de la puissance publique.

Ils demandent :
→ Des solutions d’accompagnement et de logement
→ Des ressources suffisantes
→ Une amélioration du droit à la compensation
→ Une accessibilité réelle

Si on ne soutient pas la santé mentale des aidants maintenant, on paiera plus cher plus tard.
Ce n’est pas seulement une question humaine — c’est une question économique nationale.

Les députés ont entendu :

La France signe des textes internationaux sur les droits des personnes handicapées… mais ne les applique pas. Et derrière cette non-application, ce sont les parents aidants qui encaissent — physiquement, psychiquement, financièrement.


7. En résumé politique (et c’est ce qui fait mal)

Les associations n’ont pas dit seulement : “On est fatigués.”

Elles ont dit :

→ Le système actuel fabrique l’épuisement psychique des aidants.
→ Cet épuisement n’est pas un accident individuel — c’est le produit direct des défaillances publiques.
→ Tant qu’il n’y aura pas de réponses structurelles (places, accompagnement, professionnels formés, coordination lisible, financement durable, prévention vraie), la santé mentale des aidants continuera de se dégrader.

L’État crée une épidémie silencieuse d’épuisement psychique.

Et aujourd’hui, c’est acté — noir sur blanc — dans une commission d’enquête parlementaire.


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