Attendu, le rapport de Myriam El Khomri sur les métiers du grand âge – en établissement comme à domicile – entend préfigurer un plan de mobilisation nationale pour enrayer la crise des vocations, sachant que les enjeux de recrutement sont énormes. Cela passe par une amélioration des conditions de travail et des rémunérations, une réforme des formations et diplômes, la mise en place de plateformes départementales… Le coût des mesures est déjà chiffré. Agnès Buzyn prévoit une grande conférence sociale sur le sujet, en tenant bien compte des « compétences des départements en matière d’autonomie et des régions en matière de formation professionnelle ».

rapport el khomri

Myriam El Khomri, ancienne ministre du Travail dans le gouvernement de Manuel Valls, a remis ce 29 octobre son rapport très attendu sur les métiers du grand âge en établissement comme à domicile. La mission lui avait été confiée par Agnès Buzyn au début de l’été (voir notre article ci-dessous du 4 juillet 2019). La remise de ce rapport s’inscrit clairement dans le prolongement de la mission et du rapport sur la dépendance de Dominique Libault, en vue du futur projet de loi Grand âge et autonomie (voir notre article ci-dessous du 28 mars 2019). Par ailleurs, le rapport est remis quelque jours près la présentation, par Édouard Philippe, d’une stratégie nationale de mobilisation et de soutien pour les aidants, qui sont une autre composante essentielle de la prise en charge de la dépendance (voir notre article ci-dessous du 23 octobre 2019).

Pour un « plan de mobilisation nationale »

Le travail effectué par Myriam El Khomri va au-delà d’un simple rapport et le document s’intitule d’ailleurs « Plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 ». Il est vrai que le constat est déjà connu et largement partagé : manque d’attractivité de ces métiers (avec par exemple une baisse de 25% en six ans du nombre de candidats au concours d’aide-soignant), conditions de travail difficiles, fort recours au temps partiel, rémunérations faibles (avec des premiers niveaux de salaires inférieurs au Smic dans certaines conventions collectives), taux très élevé d’accidents du travail (trois fois supérieur à la moyenne nationale et équivalent au secteur du bâtiment), absence de perspectives de carrière, cloisonnement entre filières (sept conventions collectives)…

S’il est bien connu, ce constat n’en est pas moins très inquiétant, alors que le nombre de personnes en perte d’autonomie ne cesse de s’accroître, passant de 1,387 million en 2020 à 1,479 million en 2025 (+6,6%). Pour y faire face, il est nécessaire de créer 93.000 postes supplémentaires entre 2020 et 2024 et de former, sur la même période, 260.000 professionnels pour remplacer les départs en retraite. Or une enquête flash du réseau de l’Uniopss et des Uriopss, menée à l’occasion de la mission et présentée en annexe du rapport, montre déjà l’ampleur des difficultés actuelles de recrutement.

Créer 18.500 postes par an d’ici à 2024 et lutter contre les accidents du travail

Face à ces constat, le rapport – ou plutôt le plan d’action – propose de retenir cinq axes prioritaires, assortis chacun d’un certain nombre de mesures. Le premier axe consiste à « assurer de meilleures conditions d’emploi et de rémunération ». Trois mesures principales sont proposées à cette fin : ouvrir 18.500 postes par an d’ici à 2024 (soit les 93.000 postes jugés nécessaires sur la période pour faire face à l’accroissement du nombre de personnes dépendantes), remettre à niveau toutes les rémunérations aujourd’hui inférieures au Smic avant le 1er janvier 2021 et « négocier une offre nationale compétitive pour équiper les accompagnants à domicile de véhicules propres ».

Le second axe prévoit de « donner une priorité forte à la réduction de la sinistralité et à l’amélioration de la qualité de vie au travail », à travers deux mesures phares. La première consisterait à mettre sur pied un programme national de lutte contre les accidents du travail et les maladies professionnelles dans ce secteur. Ce programme serait porté par la branche AT-MP de l’assurance maladie. La seconde mesure viserait à imposer quatre heures de temps collectifs par mois, aussi bien dans les services à domicile qu’en Ehpad. Ces temps collectifs (groupes de paroles, échanges de bonnes pratiques…) doivent à la fois améliorer les prises en charge et redonner du sens au travail des professionnels.

Des formations à repenser

Le troisième axe entend « moderniser les formations et changer l’image des métiers ». Si le second point passe, de façon classique, par le lancement d’une campagne de communication nationale, le premier est plus complexe et regroupe plusieurs mesures. Il s’agit notamment de supprimer le concours d’aide-soignant, pour la formation initiale comme pour l’apprentissage, et d’assurer à la place l’inscription dans les centres de formation via Parcours Sup (pour la formation initiale). Une mesure qui pourrait faire grincer des dents du côté des hôpitaux, également grands employeurs d’aides-soignants.

Il pourrait en être de même pour la « réduction drastique » du nombre de diplômes reconnus dans le champ de l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie (une soixantaine de diplômes aujourd’hui). En revanche, d’autres propositions devraient se révéler plus consensuelles, comme la systématisation de la gratuité des formations hors frais d’inscription (environ 5% seraient actuellement payantes), le fait de porter à 10% la part des diplômes d’aide-soignant et d’accompagnant éducatif et social obtenus par la voie de l’alternance (autrement dit de passer de 600 à 10.000 alternants), celui de porter à 25% la part des diplômes délivrés chaque année dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (en privilégiant la VAE collective), ou encore la possibilité donnée à tous les professionnels exerçant auprès des personnes en perte d’autonomie d’accéder à̀ une formation spécifique en gérontologie.

Des plateformes départementales des métiers du grand âge

Sur le quatrième axe – « Innover pour transformer les organisations » –, le rapport préconise de soutenir et d’évaluer les démarches innovantes qui se développent dans le champ de l’organisation du travail (labels Humanitude ou Cap Handéo, méthode Burtzoorg…), mais aussi de reconnaître l’intérêt de la pratique avancée en gérontologie et de soutenir son développement. Cette pratique avancée, récemment reconnue pour les infirmiers (et validée par une formation assez lourde) leur permet d’exercer certaines compétences dévolues jusqu’alors aux médecins.

Enfin, le dernier axe porte sur la gouvernance du dispositif et prévoit de « garantir la mobilisation et la coordination des acteurs et des financements au niveau national et dans les territoires ». La principale mesure à ce titre consiste en la mise en place de plateformes départementales des métiers du grand âge, chargées de « mettre en œuvre un guichet unique de sécurisation des recrutements ».

Un coût évalué à 825 millions d’euros par an

Toutes ces mesures ont un coût et Myriam El Khomri a pris soin de chiffrer les principales d’entre elles, contrairement à certains rapports officiels. Le coût annuel serait ainsi de l’ordre de 825 millions d’euros, répartis en quatre postes principaux : la création des 18.500 postes par an (450 millions), la remise à niveau des rémunération au niveau du Smic (170 millions), le programme national de lutte contre la sinistralité (100 millions) et la création de plateformes départementales de métiers du grand âge (100 millions).

Ce coût n’est toutefois pas exhaustif, car il faudrait y ajouter d’autres dépenses, comme la formation des 18.500 postes supplémentaires recrutés chaque année, l’accompagnement de la restructuration de l’offre de formation, l’accès de tous les professionnels à une formation spécifique en gérontologie…

Au final, pour Myriam El Khomri, « la mise en œuvre de ces mesures offrira une base solide pour relever le défi de l’attractivité́ des métiers du grand âge et de l’autonomie, en mobilisant l’ensemble de ses leviers ». Le rapport précise aussi que « ce chantier appelle une cohérence d’ensemble des politiques publiques en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge et de l’autonomie » et que le projet de loi correspondant, ainsi que la réforme de la tarification, « doivent soutenir le chantier de l’attractivité́ des métiers du grand âge ».

Agnès Buzyn : ne pas « fouler aux pieds » les compétences des collectivités…

Lors de la remise du rapport, Agnès Buzyn a salué « une feuille de route à la fois courageuse, innovante et opérationnelle ». Si elle a souligné l’intérêt de plusieurs mesures proposées par le plan, la ministre des Solidarités et de la Santé s’est cependant gardée de toute annonce ponctuelle ou sectorielle. Elle a notamment affirmé que « notre méthode doit être irréprochable et nos principes doivent être solides, en commençant par rappeler que nous ne pourrons pas parvenir à̀ améliorer l’attractivité des métiers du grand âge et de l’autonomie, et à les revaloriser, y compris financièrement, si nous foulons aux pieds les compétences des départements en matière d’autonomie et celle des régions en matière de formation professionnelle ». Aussi affirme-t-elle, reprenant le principe désormais incontournable de la contractualisation, qu’un accord tripartite pour favoriser l’implication des collectivités locales dans la mise en œuvre du plan de mobilisation nationale lui semble « une bonne idée ».

…mais une égalité de traitement qui restreindra les marges de manœuvre

Agnès Buzyn a également indiqué que la nouvelle offre de services à domicile devra répondre à trois grands enjeux. Tout d’abord, la nécessité d’un « socle égal de services à domicile, quel que soit le département », ce qui pourra difficilement se faire sans une remise en cause de la liberté de tarification des services d’aide à domicile par les départements. Ensuite, la « capacité collective à proposer demain à nos concitoyens, ensemble, départements, ARS et employeurs, une offre intégrant à la fois l’aide humaine et le soin », autrement dit le décloisonnement entre les secteurs et entre les acteurs (Agnès Buzyn devrait faire bientôt, en lien avec Jacqueline Gourault, des propositions à l’Assemblée des départements de France sur ce « nouvel exercice de contractualisation »). Enfin, « la réforme des services à domicile », qui peine à émerger depuis plusieurs années, malgré des plans de soutien récurrents.

Une personnalité qualifiée pour piloter le plan

Pour travailler sur ces enjeux et préparer les mesures à mettre en œuvre, Agnès Buzyn annonce le lancement d’une grande conférence sociale, qui se réunira « dans les tout prochains mois » – a priori avant la fin de l’année – et qu’elle coprésidera avec Muriel Pénicaud, la ministre du Travail et de l’Emploi. Elle a cité certains des thèmes qui pourraient être abordés par cette conférence et qui viennent pour une bonne part du rapport : besoins de recrutement à domicile et en établissement, évolution des rémunérations inférieures, amélioration de la qualité de vie au travail, engagement de développement de l’emploi et des compétences… Par ailleurs, une « personnalité qualifiée » sera nommée pour préparer cette conférence puis pour « piloter la mise en œuvre opérationnelle du Plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge et de l’autonomie ».

Pour aller plus loin :

Source : https://www.banquedesterritoires.fr/une-conference-sociale-pour-relancer-lattractivite-des-metier-du-grand-age?pk_campaign=newsletter_hebdo&pk_kwd=2019-11-08&pk_source=Actualit%C3%A9s_Localtis&pk_medium=newsletter_hebdo

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