Le CNCPH donne son avis sur les politiques handicap. Pour autant, sa vocation consultative lui permet-elle d’être entendu, est-il suffisamment indépendant ? Débat sur cette question : inutile ou indispensable ?
Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) sert-il vraiment à quelque chose ? C’est la question pertinente posée en clôture des 1ères universités d’été de la conception universelle et de l’inclusion qui, durant trois jours, du 24 au 26 août 2020 ont réuni des centaines de participants en live Facebook.
Rappelons que ce conseil a vu le jour à la faveur de la loi handicap de 1975, consolidé par celle de 2005 avec l’objectif, alors, de rendre des avis sur ses décrets d’application. Il est désormais composé de 160 membres (associations de personnes handicapées, élus, organisations syndicales et patronales…). Via ses 9 commissions spécialisées, il a pour vocation de permettre aux personnes handicapées de participer à l’élaboration et au suivi des lois les concernant.
Seulement une chambre d’enregistrement ?
Un vœu pieu mais dans les faits ? Ne serait-il qu’une simple « chambre d’enregistrement », questionne le titre de ce débat volontairement provocateur, sans aucun pouvoir pour assurer la co-construction des politiques publiques ? Se contenterait-il ainsi de valider des décisions prises ailleurs ? Dans CNCPH, il y a bel et bien « consultatif ». « Mais ce titre est un peu trompeur, précise Jérémie Boroy, son président depuis janvier 2020 ; on y vient aussi chercher l’expertise ». Est-elle réellement prise en compte ? « Nous avons voulu en faire un outil de concertation et de stimulation de la réflexion politique », explique Dominique Gillot, qui a tenu les rênes de l’institution de 2015 à 2019. Elle consent que cela a été « difficile à obtenir » car de nombreux ministères ont considéré que le handicap n’est pas de leur ressort, se heurtant à des « fins de non-recevoir » au début de sa présidence.
Des affrontements trop timides ?
Vincent Assante, président de l’Anpihm (Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteur), juge « important de disposer d’un lieu où l’ensemble des acteurs puissent discuter avec les politiques et les ministres plutôt que de mener des négociations d’alcôve, même si le CNCPH ne les a pas supprimées ». Ce militant depuis plus de 50 ans se montre néanmoins sceptique sur la marge de manœuvre de l’institution et particulièrement critique envers le milieu associatif du handicap. « Il y a une culture d’acceptation de ce milieu qui est très pénalisante. C’est la politique des petits pas, trop timide et qui ne tape pas assez sur la table. Il est arrivé que le conseil rende des avis négatifs et les gouvernements successifs se sont assis dessus. » Et de citer la récente loi ELAN qui ne prévoit que 20 % de logements immédiatement accessibles, au mépris de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées, ou encore le reste à charge maximum de 10 % pour l’acquisition d’aides à l’autonomie via la PCH (prestation de compensation du handicap) qui se heurte à la limite des budgets des fonds départementaux de compensation et surtout à un décret toujours pas paru. « Quand le gouvernement veut faire passer des mesures qui lui conviennent, il ne se gêne pas », conclut-il.
Ce que conteste Dominique Gillot qui assure que « le conseil a fait évoluer de nombreux textes via des avis défavorables qui ont été retirés ou retravaillés tandis que, dans le parcours législatif, des recommandations du CNCPH ont été suivies d’effets ». Selon elle, environ 10 % des textes soumis sont ainsi retoqués, principalement au sein de la commission accessibilité, avec des « affrontements très durs » avec le ministère dédié, les points de vue étant « très antagonistes ». Mais elle consent qu’il faut « aller plus loin » et le droit d’auto saisine et d’alerte des ministres est désormais pleinement reconnu qui permet d’interroger les concepteurs de textes dès leur écriture.
Un manque d’indépendance
Quels sont alors les points de faiblesse du CNCPH ? Ses membres sont nommés par le gouvernement, son secrétariat n’est pas totalement indépendant puisqu’il est assumé par le Comité interministériel du handicap (CIH), les pairs n’élisent pas leur président et, surtout, il ne dispose pas de budget de fonctionnement propre, ce qui limite, concrètement, l’implication de ses bénévoles et de son président qui ne bénéficie d’aucune assistance. « Il n’y a, par ailleurs, aucun moyen de défrayer ses membres qui doivent se rendre à Paris chaque mois pour la séance plénière », complète l’un d’eux. Seuls les frais de transport sont remboursés, « à condition d’être prêts à se lancer dans des démarches complexes et d’avoir le temps » tandis que les nuits d’hôtel ou de présence de tierce-personne ne sont pas prises en charge, ce qui complique le déplacement de certains, en situation de handicap et venant de province. « C’est un scandale qui pourrait être relayé au Premier ministre », s’agace Vincent Assante.
Ce constat est partagé au sein d’une instance similaire, le Conseil national du numérique (CNNum). Sa présidente, Salwa Toko, déplore « le manque de moyens humains et budgétaires qui ne permettent pas de mener l’ensemble des actions jusqu’au bout ». Mais, selon elle, « ce n’est pas parce qu’on est nommé par le gouvernement qu’on lui doit allégeance ». Le rôle d’éclaireur de ce conseil a permis d’obtenir des consensus sur des enjeux sociétaux complexes, même si elle les juge parfois « un peu mous ».
Faire bouger les choses
Des pistes d’amélioration possibles ? Une indépendance financière mais pas que, répond Salwa Toko. « La France n’a pas à rougir qu’il existe une caisse d’enregistrement mais on voudrait qu’elle devienne une caisse de résonnance pour que l’ensemble de la société civile soit en mesure de jouer son rôle de lobbying auprès des gouvernements ». La présidence du CNCPH encourage à aller plus loin encore dans la collaboration avec les parlementaires, « même si on a déjà beaucoup avancé ». Certains ont désormais pris l’habitude de contacter le Conseil lorsque les textes à débattre concernent les personnes handicapées. Une orientation prise lors de la nouvelle mandature de janvier 2020 a aussi permis de nommer 24 « personnes qualifiées » même si toutes ne sont pas en situation de handicap (article en lien ci-dessous), faisant écho à une revendication légitime « Rien pour nous sans nous ». Pas assez, selon Vincent Assante qui souhaite que les membres soient élus, et surtout eux-mêmes concernés par le handicap.
Des discours politiques en LSF
Un effort d’accompagnement doit être fait. Ainsi, un budget spécifique a été fléché sur la formation des membres en 2020. Un comité des suites données aux avis du Conseil a également été mis en place afin de veiller à ce que les productions du conseil irriguent, le plus possible, les travaux des administrations, et inversement. « On a souvent déploré, dans les mandatures précédentes, que nous prenions des avis mais sans trop savoir ce qu’ils devenaient, regrettait Jérémie Boroy lors de sa prise de fonction, alors que c’est la raison d’être de ce Conseil ». Fervent défenseur de l’accessibilité politique, et lui-même sourd, il a par ailleurs milité pour encourager le gouvernement à rendre ses discours publics accessibles ; son combat semble avoir porté ses fruits puisque les traductions en LSF (langue des signes française) et sous-titrage se sont multipliées lors de la crise sanitaire. Un « conseil » qui a donc porté ses fruits ? Enfin, Vincent Assante propose de soumettre à tous les candidats, en vue des élections présidentielles de 2022, un projet de réforme pour accorder au CNCPH plus d’indépendance.
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