Après un récent article Ces patients douloureux à qui l’on dit : « C’est dans votre tête », 66 Millions d’Impatients prolonge ce sujet pour le cas plus particuliers des personnes en situation de handicap. En France, une prise en charge adaptée des soins médicaux aux personnes vivant avec un handicap est dans l’ensemble très peu répandue, et il n’est pas rare que ces patients soient confrontés à des refus de soins.
Peu ou mal suivis, souvent incompris par rapport à la manifestation de leurs douleurs, surtout pour les personnes présentant des difficultés à communiquer, les patients en situation de handicap souffrent souvent de douleurs qui deviennent chroniques. En outre, chez de nombreux patients en situation de handicap psychique, de troubles du neuro-développement ou encore atteint d’autisme, la gestion de la douleur va se manifester par des modifications soudaines du comportement que l’on a malheureusement trop tendance à traiter avec des neuroleptiques, au lieu d’en explorer la cause.
Le docteur Saravane, praticien hospitalier spécialiste de la douleur, fait pour nous le point sur la reconnaissance et la prise en charge des pathologies organiques douloureuses chez les patients en situation de handicap.
Marie-Jeanne Richard, présidente de l’UNAFAM (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) témoigne également de la difficulté des patients ayant des troubles psychiques à se faire entendre lorsqu’ils souffrent de douleurs somatiques.
66 Millions d’Impatients : Comment repérer et traiter un patient douloureux en situation de handicap et qui aurait des difficultés à s’exprimer sur ses douleurs ?
Dr Saravane : Il n’est pas rare que les personnes en situation de handicap, notamment chez les personnes avec peu ou pas de langage verbal, subissent de brusques changements dans leur comportement, deviennent agressifs, en particulier envers eux-mêmes avec ces épisodes d’automutilation, lorsqu’ils sont confrontés à la douleur. Jusque là, on traitait presque automatiquement ces troubles du comportement directement avec des neuroleptiques sans chercher à comprendre quelle pourrait en être la cause. La banalisation des médicaments neuroleptiques est déjà forte en France dans la population générale et malheureusement elle l’est encore davantage chez les personnes en situation de handicap.
Bien sûr, il peut y avoir chez ces personnes une comorbidité d’ordre psychiatrique mais récemment, de nombreuses publications ainsi que des recommandations de la HAS (Haute Autorité de Santé) ont mis en lumière que tout changement soudain du comportement de personnes vivant avec un handicap, méritait la recherche éventuelle d’une pathologie organique car, la plupart du temps, on se rend compte qu’un tel changement de comportement est dû à une pathologie organique douloureuse.
Il est certain que les changements soudains de comportement peuvent également être dus au contexte environnemental du patient, qui peut se manifester par un manque d’écoute et de respect de ses choix, à des difficultés dans l’environnement social, ou encore à son contexte personnel, comme la prise de médicaments qui présenteraient des effets secondaires, mais il est indispensable d’éliminer une cause somatique et d’éventuelles douleurs.
66 Millions d’Impatients : Le personnel médical est-il bien formé à la recherche de pathologies organiques dans le cas que vous décrivez d’un changement de comportement chez une personne en situation de handicap ?
Dr Saravane : Malheureusement, les publications et recommandations qui vont dans ce sens sont récentes et tous les professionnels de santé n’en ont pas pris connaissance, et ne les ont pas encore assez intégrées à leur pratique.
En outre, comme on se soucie trop peu, chez les personnes en situation de handicap, de rechercher une pathologie organique douloureuse, les douleurs ont très souvent tendance à se chroniciser, ce qui rend leur traitement encore plus difficile.
Précisons que pour être médecin spécialiste de la douleur, il faut passer ce que l’on appelle une « capacité douleur » qui prend environ deux ans, et que malheureusement, dans certaines universités, il n’y a même pas une heure dans le programme, qui soit consacrée à la prise en charge de la douleur chez les personnes en situation de handicap.
Dans les centres antidouleurs les personnels sont donc malheureusement très peu formés à recevoir des personnes en situation de handicap. En outre, la prise en charge de ces patients implique d’y consacrer davantage de temps, or les consultations dans les centres antidouleurs sont déjà très saturées, avec souvent des délais d’attente d’un an. Cela n’encourage pas les personnels soignants à vouloir se former à une prise en charge spécifique des patients en situation de handicap, ni à organiser leur service pour bien les accueillir. On voit alors des dérives, non plus dues à la prescription de traitements neuroleptiques non pertinents mais à celle de traitements non adaptés par opiacées dont les patients ne parviennent plus à se sevrer.
Notons que les enquêtes menées auprès des familles révèlent que la prise en charge des patients en situation de handicap est très contrastée d’un département à un autre et qu’il y a malheureusement souvent des refus de soins pour ces patients.
Cependant, pour être mieux dirigé vers un praticien spécifiquement formé à la prise en charge de personnes en situation de handicap, il existe des plateformes téléphoniques d’accompagnement et d’orientation pour leurs soins médicaux. On essaye également d’implanter sur le territoire français de centres de soins dédiés aux personnes en situation de handicap avec l’ensemble du personnel spécifiquement formé. Ce déploiement requiert des moyens importants et dépend beaucoup des Agences régionales de santé.
66 Millions d’Impatients : Malgré tout, même si la douleur organique est identifiée, il se peut que l’on traite tout de même les patients avec des neuroleptiques ?
Dr Saravane : Oui cela arrive, d’autant plus que certaines douleurs peuvent entrainer des troubles affectivo-émotionnels, comme la dépression. En prévention, on peut d’ailleurs prescrire de petites doses d’antidépresseurs aux patients douloureux, en leur expliquant qu’ils ne sont pas dépressifs mais que c’est un risque qu’il est pertinent de prévenir.
On peut aussi proposer aux patients des thérapies non-médicamenteux pour traiter les douleurs, comme de l’activité physique ou des thérapies cognito-comportementales. De plus en plus d’institutions médico-sociales qui reçoivent des publics en situation de handicap se forment aux thérapies non-pharmacologiques.
Cependant certaines thérapies non médicamenteuses ne conviennent pas à tout le monde, selon le type de handicap, notamment chez les personnes n’ayant pas de langage verbal. On peut aussi prendre l’exemple des personnes souffrant de certains handicaps psychiques, comme la schizophrénie par exemple, chez qui des thérapies telles que l’hypnose sont contre-indiquées.
LE POINT VUE DES PATIENTS AVEC MARIE-JEANNE RICHARD, PRÉSIDENTE DE L’UNAFAM (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques)
La dernière enquête que nous avons réalisée auprès de 5000 de nos adhérents montre que seulement 25% de patients ayant des troubles psychiques étaient suivis pour leurs troubles somatiques par un médecin traitant. Il faut préciser que ces patients ont un rapport particulier à leur corps car ils sont plus accaparés finalement par leurs douleurs mentales que par leurs éventuels troubles physiques. Ils s’expriment ou n’agissent souvent face à la douleur somatique que lorsque celle-ci devient vraiment aiguë. Ce n’est, la plupart du temps, pas prioritaire pour eux. Ensuite, encore faut-il, s’ils ont des pathologies organiques, qu’ils trouvent un médecin traitant qui sache prendre en charge ces patients dans leur globalité, or, peu de médecins sont vraiment formés à la prise en charge des personnes malades ou handicapées psychiques.
66 Millions a récemment publié un sujet les patients douloureux à qui l’on répond encore trop souvent que leurs douleurs : « c’est dans votre tête ». Il faut aussi prendre en compte que les patients qui souffrent de troubles psychiques appréhendent encore davantage qu’on leur fasse une telle réponse. Ils vont parfois préférer taire leurs douleurs ou bien ils les expriment mal. Il faut d’ailleurs préciser que cette réponse assez décourageante des médecins qui disent aux patients que leur douleur ou leur fatigue relèvent d’un problème « psychologique » est très courante chez les personnes présentant déjà des troubles psychiques. Les professionnels de santé ont tendance, en premier lieu, à penser que cela est dû à leurs troubles psychiques, au lieu d’explorer tout de suite d’éventuelles pistes somatiques.
Nous avons eu, à l’association, des témoignages de familles de patients pour qui le manque d’écoute et de prise en charge adaptée a eu des conséquences dramatiques, comme des cas d’occlusions intestinales non repérées et qui ont entrainé des décès. Il est urgent de former les professions médicales et paramédicales à l’écoute et à la prise en charge des patients qui ont des troubles psychiques.
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