Courrier envoyé le 27 mai aux député.e.s de Meurthe-et-Moselle : Thibault BAZIN , Caroline FIAT, Laurent GARCIA, Carole GRANDJEAN, Xavier PALUSZKIEWICZ et Dominique POTIER. Sans réponse aujourd’hui !

Madame la députée, Monsieur le député de Meurthe-et-Moselle.

Le 17 juin prochain, la proposition de loi permettant notamment de déconjugaliser le calcul de l’Allocation aux adultes handicapés est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, qui l’examinera en deuxième lecture.

Jusqu’à présent le gouvernement s’est prononcé contre cette évolution tant attendue par les personnes en situation de handicap et leurs associations, comme l’a notamment montré la forte mobilisation citoyenne de ces derniers mois. Nous espérons que le Gouvernement fera évoluer sa position, et permettra de voter une mesure qui répond à des enjeux de justice sociale, d’équité et d’indépendance financière. Le Gouvernement rappelait, lors du dernier Comité interministériel du handicap, sa conviction « d’une société inclusive à la fois facteur d’émancipation individuelle et de progrès social »[1]. Déconjugaliser l’AAH est facteur d’émancipation et de justice sociale.

Pour rappel, actuellement, l’AAH est versée à 1,2 million de personnes qui en grande majorité vivent seules puisque seulement 22% de ses bénéficiaires vivent en couple[2]. Or à ce jour, une personne bénéficiaire de l’AAH souhaitant se mettre en couple peut se voir supprimer tout ou partie de son allocation, les ressources du conjoint étant prises en compte dans le mode de calcul des revenus du foyer. De plus, le montant de l’AAH reste en deçà du seuil de pauvreté en France[3] et ne permet pas de couvrir toutes les dépenses courantes ou toutes les dépenses liées au handicap.

Voici les raisons qui nous font penser que le choix entre aimer et être aimé ne doit plus représenter un coût pour les personnes en situation de handicap mais rester un choix :

  • L’AAH n’est pas une prestation sociale comme les autres et est d’abord un revenu d’existence.

L’AAH est une garantie de ressources minimales qui est vitale pour de nombreux adultes en situation de handicap qui ne peuvent travailler du fait de leur situation de handicap. Elle doit permettre de faire face aux dépenses de la vie courante et à celles liées à la situation de handicap en garantissant un revenu digne. Ainsi, l’AAH favorise et permet l’accès à des conditions de vie dignes en assurant une indépendance financière nécessaire à l’épanouissement et au bien vivre. C’est parce que l’AAH n’est pas une prestation comme les autres qu’elle ne peut se voir appliquer les règles des autres minima sociaux qui font prévaloir la solidarité familiale sur la solidarité nationale.

  • L’AAH doit être individualisée.

Elle est une garantie de ressources fondée sur une incapacité de travailler garantissant des conditions de vie digne pour les personnes en situation de handicap[4]. Le fait de ne pouvoir travailler est évalué en fonction de la situation individuelle de la personne et non sur la situation du foyer. Il est donc illogique qu’elle se retrouve conjugalisée avec les ressources du conjoint lors de son calcul. De plus, la conjugalisation de l’AAH a pour conséquence de créer une situation de dépendance qui fait reposer la charge financière du handicap sur la ou le conjoint, ce qui « emprisonne » les personnes en situation de handicap dans une condition dans laquelle elles n’ont aucun moyen de bien vivre et de s’émanciper : elles sont rappelées à nouveau à leur situation de handicap et à la charge qu’elles font peser sur le couple.

  • Il n’y a pas de contradiction à vouloir être considérés en citoyens égaux devant la loi et à recevoir des traitements différenciés selon une situation spécifique.

Si les personnes en situation de handicap aspirent fortement au droit commun, le droit commun ne peut se fonder que sur l’égalité effective entre tous, à partir d’un principe d’équité.
En outre, un droit commun qui n’a pas été réfléchi et conçu par et pour les personnes en situation de handicap ne saurait être applicable de manière indiscriminée. Ce sont les raisons pour lesquelles le Collectif Handicaps rejette l’argument de la familiarisation des allocations du Gouvernement.

  • Déconjugaliser l’AAH, c’est rendre effective l’indépendance financière des personnes et garantir la liberté de choix.

Diminuer l’AAH au regard des revenus de la ou du conjoint est une forme moderne de tutelle sur les personnes en situation de handicap à l’heure où les discours politiques ne cessent de prôner l’autodétermination, l’autonomie et la participation sans savoir comment les rendre effectifs. Individualiser l’AAH est une occasion à saisir pour rendre indépendance et liberté de choix aux allocataires de l’AAH.
Par ailleurs, la conjugalisation de l’AAH témoigne d’une logique sociétale qui n’est plus de notre temps. En effet, l’évolution de la société requiert que toute personne puisse disposer de ressources propres nécessaires pour faire des choix au cours de son existence.
La mobilisation citoyenne a été forte parce qu’il n’est plus compris aujourd’hui qu’une personne reste dépendante financièrement de son conjoint.

  • La conjugalisation de l’AAH rend les rapports asymétriques au sein du couple et particulièrement en défaveur des femmes en situation de handicap.

Actuellement, cette prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul de l’AAH fait peser une situation de dépendance financière au sein du couple et va à l’encontre de l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap.
Cette situation de dépendance est susceptible d’affecter plus fortement les femmes en situation de handicap et peut se coupler notamment à des situations d’emprise, de maltraitance, de violences au sein du couple[5].

Afin de permettre à chaque citoyen en situation de handicap ne pouvant subvenir par ses moyens à son autonomie de vivre dignement, le Collectif Handicaps et ses cinquante associations soutiennent la déconjugalisation de l’AAH. Pour l’ensemble des personnes ne pouvant travailler durablement en raison de leur handicap, l’AAH est avant tout un revenu d’existence nécessaire et vital qui doit être individualisé.

Croyant sincèrement que cette proposition de loi est à même de répondre aux aspirations et désirs des citoyens en situation de handicap de rester maîtres de leur vie, y compris financièrement, croyant sincèrement que l’évolution de la législation actuelle sur l’AAH est nécessaire, croyant enfin que ce combat politique pour une réelle justice sociale, pour une équité des droits et pour une véritable autonomie financière est un combat citoyen, nous vous demandons de soutenir cette PPL le 17 juin prochain.

Comptant sur votre détermination et votre soutien pour ce sujet qui s’attache aux valeurs les plus fondamentales de notre République, la liberté, l’égalité et la fraternité de tous les citoyens, je vous prie d’agréer, Madame la députée, Monsieur le député, l’expression de mon profond respect.

Arnaud de Broca, Président du Collectif Handicaps

Vincent HAREL, coordinateur du Collectif Handicap 54.


[1] Dossier de presse, Comité interministériel du handicap, 16 novembre 2020

[2] Rapport n°400 (2020-2021) de M. Phillipe Mouiller fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat.

[3] « En 2018, en France métropolitaine, 9,3 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du niveau de vie médian Ce seuil s’établit en 2018 à 1 063 euros par mois ». France, portait social, édition 2020, INSEE, paru le 30 novembre 2020.

[4] Comme le rappel le préambule de la Constitution de 1946, « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

[5] Les violences faites aux femmes en situation de handicap, Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humaines, novembre 2019.


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