SERAFIN-PH
SERAFIN-PH

Un écart entre les ambitions de la réforme et le projet en cours de finalisation : d’une réforme simple à une réforme simpliste

Les objectifs initiaux de la réforme étaient simples, légitimes et louables :

Attribuer des budgets équitables aux établissements et services pour permettre de répondre aux besoins des personnes accompagnées.

Faciliter et soutenir les parcours de vie des personnes handicapées, en soutenant la transformation de l’offre médico-sociale

Rendre la réforme lisible et simple

Or, au fil des travaux, nous observons un éloignement des ambitions d’origine, avec une réforme de convergence tarifaire purement technocratique, sans objectif politique d’accompagner la transformation de l’offre au bénéfice des personnes. Dans le projet de tarification présenté aujourd’hui, il est impossible de rapprocher les choix des objectifs initiaux:

Impression d’un simple objectif de diminution des coûts au détriment de l’amélioration de la qualité de l’offre

D’autant plus inquiétant dans le contexte actuel : pénurie de professionnels, manque de formation, manque d’accompagnement à la « transition inclusive » vers le milieu ordinaire, coupes budgétaires de 10 milliards d’euros en 2024 et de 20 milliards d’euros en 2025, etc.

La réflexion à partir de l’existant freine l’ambition d’un nouveau modèle médico-social :

  • La circulaire du 8 décembre 2023 sur les 50 000 solutions pointe pourtant que SERAFIN-PH est un levier pour appuyer la transformation de l’offre, mais comment peut-on mettre en relation l’indispensable autonomie nécessaire à l’innovation (notamment pour améliorer la qualité et l’adaptation des réponses aux besoins individuels) et une allocation de moyens strictement liée à des indicateurs et analyses historiques?
  • L’origine de SERAFIN s’appuie sur une volonté de mettre fin à l’iniquité des budgets construits au fil du temps sur des données jamais évaluées. Dans la construction du modèle actuel, toutes les projections sont construites sur les pratiques et données existantes mesurées sur des coupes ponctuelles : cette méthode ne fait que renforcer les inégalités existantes, pourtant dénoncées.
  • Les échelles et études de coûts s’appuient sur les budgets historiques des ESMS, pas sur l’évolution et l’adaptation nécessaires de l’offre pour répondre à tous les besoins de toutes les personnes en situation de handicap (cf. infra sur la démarche).
  • L’analyse de l’existant s’appuie sur des données recueillies entre 2017 et 2021 qui ne peuvent pas prendre en compte toutes les évolutions mises en oeuvre sur tous les territoires grâce à des crédits nouveaux ou des CNR ponctuels ou des financements expérimentaux non considérés dans les coupes des participants.

La méthode d’élaboration du projet SERAFIN a beaucoup évolué depuis 2020 aux dépends de la concertation et de la co-production. Le rythme et la durée des GTN a fortement régressé, les groupes ouverts de travail de préparation/échanges ont quasi disparus. Pour les acteurs auparavant associés, la réforme, construite en tout petit comité, devient de plus en plus technique, s’éloignant des remontées de terrain et des réalités vécues par les personnes et ceux qui les accompagnent (cf. infra sur la méthode)


Une démarche à contre-temps des transformations du secteur et de l’approche par les droits et besoins individuels

Les échanges au sein du Collectif Handicaps sur SERAFIN-PH ont pointé l’incohérence de la conduite des politiques publiques – la réforme SERAFIN-PH entrant en contradiction avec d’autres réformes en cours en parallèle, voire étant contre-productives par rapport aux démarches de transformation de l’offre et d’individualisation des réponses.

Pourquoi la qualité n’entre plus dans le giron des réflexions sur la tarification ? Une réforme de l’évaluation est pourtant travaillée en parallèle. Certes, la HAS s’est positionnée contre une corrélation entre le tarif appliqué et la note de l’évaluation. Mais, cela n’aurait pas dû empêcher d’autres discussions sur une majoration prenant en compte une démarche d’amélioration continue indispensable à la pérennisation de la qualité de l’accompagnement.

Quid de l’auto-détermination et de l’individualisation des réponses ? En revenant à une approche catégorielle, par type ou intensité de handicaps, on ne reconnait pas les spécificités des individus dans chaque catégorie. On décorrèle ainsi les solutions apportées des choix et besoins des personnes – ce qui est contraire à la Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées (et à toute la dynamique de transformation de l’offre engagée ces dernières années).

  • Comment la tarification SERAFIN-PH actuellement présentée permet le financement et le fonctionnement en « dispositifs intégrés » ?
  • Le mode de tarification ne semble pas aller avec l’adaptation et la modulation au jour le jour des parcours en fonction des besoins des personnes (cf. décret en cours de validation).
  • Le secteur « enfance » est confronté à deux incertitudes concomitantes : une réforme de la tarification et une transformation du mode de fonctionnement (dont ne connait pas les impacts financiers). Comment se projeter sur un nouveau modèle de tarification sans avoir connaissance du nouveau modèle d’organisation ?
  • La priorité doit être donnée à la transformation de l’offre : expérimentons le fonctionnement en dispositif et déterminons ensuite les critères de calcul.
  • Entre 2014 et 2024, le monde médico-social a évolué : pour que SERAFIN-PH accompagne vraiment le secteur médico-social, il doit évoluer aussi en fonction du contexte. On ne peut donc pas valider ou infirmer aujourd’hui des modalités de calcul, qui seront potentiellement remises en cause une fois le fonctionnement en dispositifs intégrés généralisé. Pour avoir une réforme tarifaire en adéquation avec la réalité du terrain, il faut se baser sur les données utiles pour l’avenir et non sur des données du passé qui ont montré leur limite.

Quels financements pour des plateaux techniques adaptés, notamment aux besoins complexes ?

Pourquoi les réflexions sur la mesure d’activité se sont-elles arrêtées ? Les travaux en cours ne font plus mention des unités d’oeuvre et des nomenclatures, alors que cela avait occupé les premiers travaux sur SERAFIN-PH. Le débat semble clos et une unité d’oeuvre (probablement la « file active ») va s’imposer sans que les associations aient eu un droit de regard.

Comment aller vers une offre individualisée lorsque les ENC conclut simplement que les établissements bénéficieront de tarifs majorés par rapport aux services ? Si les coûts de structures sont bien évidemment supérieurs dans un établissement par rapport à un service, les coûts d’accompagnement sont eux bien supérieurs dans les services et en particulier à domicile pour les services qui accompagnent des projets personnalisés (1 à 2 pour 1). Le groupe 2 représente 70 à 80% des budgets alloués, les écarts de majoration entre l’ambulatoire et l’établissement du projet de tarif présenté laissent à penser que le suivi individualisé et les réalités inclusives ne seront pas financés.

Quelle prise en compte du rôle d’appuis-ressources et de coordination des ESMS ?

Des zones d’ombre qui ne permettent pas aux ESMS de se projeter

Le contexte est un peu paradoxal, avec un calendrier contraint et rapproché, qui implique des présentations de plus en plus techniques et cadrées par une équipe restreinte qui n’a plus le temps de la concertation, mais encore beaucoup de zones d’ombres sur les paramètres de la réforme – ce qui complique la projection des ESMS vers de nouveaux projets/ une adaptation de l’offre à long terme.

Quid de la prise en charge des transports ? Cette question ne cesse d’être renvoyée à d’autres discussions, dans d’autres cadres, mais cela fait intégralement partie des solutions à apporter aux personnes, donc à financer. Ils sont évalués dans les ENC à 10% des budgets !

Des bases de calcul qui ne garantissent pas une adaptation de l’offre sur les territoires : le calcul à partir d’un socle correspond à un minimum uniformisé nationalement majoré par des coefficients dispersés ne permet pas d’anticiper la simplification tant attendue. Ces coefficients de majoration pourraient faire croire à de véritables dialogues de gestion respectant les besoins et la transformation de l’offre de chaque territoire ! Mais les budgets contraints dans des enveloppes cadrées nationalement, (au mieux régionalement), ne donneront aucune marge de manoeuvre aux délégations territoriales ARS aujourd’hui démunies tant en personnel qu’en moyens qu’en autonomie.

Comment éviter les « perdants » de la réforme et les conséquences néfastes pour les personnes accompagnées par ces ESMS ? Décider d’une modalité de calcul unique implique des « gagnants » et des « perdants ». Or, les perdants auront peu de marge de manoeuvre et les choix se feront malheureusement au détriment des personnes accompagnées. Il faut réfléchir à une convergence par le haut, pour qu’aucun ESMS ne se voit dans l’obligation financière de diminuer la quantité et la qualité des prestations proposées. Pour éviter cela, il faut laisser du temps à une étude d’impact personnalisée pour chaque structure concernée – d’où la question suivante.

Quel accompagnement des ESMS dans cette période de transition budgétaire ? Une convergence tarifaire doit se réfléchir sur le temps long et se faire avec un accompagnement dédié.

  • Cela passe notamment par des études d’impact de la réforme sur les budgets des ESMS (ESMS par ESMS), notamment pour aider à la transition si des ESMS subissent des diminutions budgétaires du fait de la nouvelle méthode de calcul.
  • Les établissements et services qui ont pu anticiper la transformation de l’offre seront justement budgétés mais comment leur dotation complémentaire seront-elles financées ? Il ne sera pas possible de maintenir une enveloppe nationale constante pendant la convergence sans mettre en crise les établissements et services devant évoluer aux dépends des personnes accueillies.

Une méthode de co-construction détériorée

La dynamique de co-construction a disparu depuis la reprise des travaux en 2022 : certes, il y a des réunions du GTN, mais dans des contraintes horaires, à des dates espacées, sur des sujets très/trop techniques, sans préparation possible en amont – ce qui ne laisse plus de place aux débats co-constructifs.

Des réunions très techniques, mais sans que les participants aient accès à toutes les données consolidées et aient connaissance de tous les objectifs de l’administration et du gouvernement.

Le calendrier imposé ne facilite pas le travail en commun, mais incite au travail en « chambres », déconnecté des attentes de terrain et des besoins des personnes. L’équipe SERAFIN (DGCS-CNSA) est contrainte par un calendrier imposé : cette pression se transforme en concentration des travaux et décisions (seul on va plus vite ; en oubliant qu’à plusieurs on va plus loin).

La réforme de la tarification est un enjeu fondateur car elle doit atteindre des objectifs qualitatifs posés au départ : l’agenda ne doit pas transformer ce changement de fond en précipitation inefficace.


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